Article extrait du Plein droit n° 13, mars 1991
« Des visas aux frontières »

Un visa pour Schengen

Le 19 juin 1990, a été signée la Convention d’application de l’accord de Schengen par le Bénélux, la France et l’Allemagne (l’Italie, depuis, a adhéré à la Convention, en novembre 1990). Ces cinq États avaient à charge de régler pour l’avenir les conséquences de la suppression des frontières dans cet espace défini et, notamment, de se prémunir contre de nouvelles migrations. La chute du mur de Berlin et les brusques hésitations de certains allaient ralentir le processus de négociations. Quels étaient les objectifs poursuivis par les États parties ?

L’accord initial conclu le 14 juin 1985 invitait les États contractants à négocier en vue de rapprocher leurs politiques dans le domaine des visas et, à plus long terme, d’harmoniser les réglementations relatives à certains aspects du droit des étrangers.

Les négociations chaotiques qui s’en sont suivi ont abouti à cette Convention d’application qui comporte un certain nombre de dispositions relatives à la politique commune des visas qui prend elle-même place dans un dispositif d’entrée particulièrement serré : les États ont en effet trouvé un terrain d’entente quant aux conditions à exiger pour pouvoir franchir régulièrement le territoire « schengenien ».

Par ailleurs, les États signataires, qui cherchent effectivement à supprimer les contrôles à leurs frontières internes communes, se sont donné les moyens d’y parvenir : ils prévoient un régime différent de circulation entre les ressortissants des six États membres et les ressortissants de pays tiers. La principale conséquence de cette Convention est de parvenir à un déplacement de la notion de frontière qui n’est plus liée à l’idée de nation, les pays négociateurs abandonnant une part de leur souveraineté au niveau de leurs frontières internes.

Avant de s’attacher à l’examen des conditions d’entrée, précisons que la France n’a pas encore ratifié la Convention : celle-ci ne fait donc pas encore partie du droit positif français même si, dans la pratique, certaines dispositions sont déjà appliquées.

Un double contrôle

Aux termes de la Convention, l’étranger désirant entrer dans l’un des cinq États devra produire un visa uniforme et valable pour le territoire de l’ensemble des parties contractantes. La Convention prévoit néanmoins une période transitoire de reconnaissance mutuelle des visas délivrés respectivement par l’un des six pays et ce, en attendant la mise au point de son élaboration. Elle ne fera qu’entériner un état de fait puisque ces six États réclament déjà systématiquement un visa aux étrangers souhaitant franchir les frontières, à l’exception de certaines nationalités (cf. l’encadré « Pays d’immigration dispensés de visa touristique dans les principaux pays européens »), les exceptions tendant à devenir les mêmes dans tous les pays « schengeniens ». Rappelons qu’en France les visas ont été rétablis en septembre 1986 suite à la série d’attentats terroristes, lesquels ont servi de prétexte à un rétablissement qui, de toutes façons, aurait eu lieu. Le gouvernement Rocard tiendra par la suite à replacer la politique migratoire de la France dans le contexte européen pour justifier le maintien du dispositif d’entrée dans sa globalité (la France n’est plus seul maître de sa politique, dit-on alors).

Quelles seront les conditions de délivrance de visas ?

Pour être susceptible d’obtenir un visa des autorités consulaires concernées, l’étranger ressortissant d’un pays tiers devra satisfaire aux conditions exigibles à l’entrée. La Convention légitime par conséquent un double contrôle à l’entrée, l’un en amont lors de la délivrance du visa, l’autre lors du franchissement de la frontière. Pour avoir des chances de disposer de l’incontournable visa apposé sur le passeport, le candidat au départ (il s’agit a priori d’un voyage touristique) devra fournir la justification de moyens de subsistance et les documents relatifs à l’objet du séjour.

La Convention va plus loin dans l’examen des moyens de subsistance que les textes actuellement en vigueur, puisqu’ils seront appréciés tant par rapport à la durée du séjour lui-même que par rapport au niveau de vie dans le pays de provenance. Cela signifie-t-il que la Police de l’air et des frontières, autorité compétente en France, pourra refuser l’entrée à des étrangers titulaires de visas si elle a le sentiment que ces derniers ont « bradé » leurs derniers sous pour ce voyage, traduisant par là même leur désir de ne pas repartir auquel cas ils seront catalogués comme futurs clandestins ?

La plupart de ces pratiques existent déjà, mais elles auront une force bien supérieure lorsqu’elles seront légitimées par un texte international.

L’étranger ne pourra d’autre part obtenir un visa que s’il n’a pas été signalé aux fins de non admission. Le fait de s’être vu notifier un arrêté de reconduite à la frontière pour séjour irrégulier une première fois risquera d’entraîner systématiquement le refus de délivrance de tout nouveau visa.

Quand la Convention entrera en vigueur, il appartiendra à un comité exécutif composé de représentants des États parties d’arrêter des règles communes pour l’examen des demandes et de veiller à leur application. Pour le moment, le fonctionnement « implicite » du système mis en place repose sur la confiance réciproque. Pour assurer une surveillance adéquate des frontières extérieures, qui ont tendance à se déplacer dans les pays d’origine, il y a fort à parier que des directives très strictes ont été données aux consulats des six États se trouvant dans les pays d’immigration.

L’établissement d’un visa commun ne concernera que les visas de court séjour. Pour les visas de longue durée, chaque État conservera sa pleine compétence. En France, actuellement, les visas supérieurs à trois mois, dits visas d’établissement, sont nécessaires pour prétendre à l’obtention d’une carte de séjour temporaire : étudiants, commerçants... À défaut, la demande est rejetée sauf cas exceptionnel.

Des risques de surenchère

À la lecture de la Convention, comment ne pas craindre les effets du renforcement du dispositif d’entrée, les États insistant fortement sur une surenchère des moyens à mettre en œuvre « pour assurer un contrôle et une surveillance adéquats aux frontières extérieures ». C’est au niveau de l’entrée que les États entendent prévenir la fabrication de clandestins, le premier maillon restant en amont les autorités consulaires. De toute évidence, dans un contexte de crise économique et politique pour de nombreux pays du tiers-monde et de bouleversements sociaux dans les pays de l’Est, le repli sur soi se veut à la hauteur. Dans quelle mesure les demandeurs d’asile en feront-ils les frais ? Déjà, dans la pratique, on constate en France un tarissement des arrivées de candidats réfugiés en provenance de certains pays comme Haïti.

Dès lors que les ressortissants de pays tiers disposeront du fameux visa commun (ou pour le moment, de celui accordé par un des pays « schengeniens »), ils hériteront des « miettes » de la liberté de circulation sur le territoire des six États et de la suppression des frontières internes. En effet, dans la limite de durée de validité du visa dont ils disposeront, les touristes étrangers pourront franchir sans contrôle les passages douaniers et n’auront pas besoin, pour se rendre dans un des pays contractants, d’un document supplémentaire. Cependant, ces mêmes personnes seront astreintes à une obligation de déclaration auprès des autorités du pays de visite (cf. art. 22 de la Convention : « Les étrangers entrés régulièrement sur le territoire d’une des parties contractantes sont tenus de se déclarer ... aux autorités compétentes de la partie contractante sur le territoire de laquelle ils pénètrent »). La liberté de circulation restera par conséquent relative, puisque les États procéderont à l’identification des personnes par le biais de cette déclaration.

L’obligation de déclaration prévue est proche de la procédure existant déjà en Belgique où tout étranger arrivant dans une commune pour s’y établir doit se déclarer auprès des services du bourgmestre.

À partir des registres de déclaration, les autorités de contrôle pourront, compte tenu des durées de présence des étrangers, procéder à des opérations de vérification de départ.

Les étrangers titulaires d’un titre de séjour délivré par l’un des pays contractants pourront eux aussi profiter, dans une certaine mesure, de la liberté d’aller et venir dans l’« espace schengenien ». Ils ne pourront rester plus de trois mois dans un autre État contractant, ce qui correspond au séjour touristique. La suppression concrète des frontières pour les résidents ressortissants de pays tiers se manifeste en France par la disparition des visas préfectoraux de sortie pour tout voyage dans ce territoire défini. Cela constitue une avancée indéniable pour les étrangers résidents... nonobstant, pour ces derniers, l’obligation de déclaration. La libre circulation, certes, mais uniquement pour les voyages de court séjour, chaque pays devant conserver ses propres immigrés.

La Convention étendra la libre circulation aux étrangers qui ne disposent que d’une seule autorisation provisoire de séjour. C’est ainsi que des demandeurs d’asile, par exemple, désireux de franchir la frontière pour rendre visite à des membres de famille, pourront le faire sous le couvert de leur récépissé, analysé pourtant par les tribunaux administratifs comme une « tolérance » des pouvoirs publics et non comme un titre de séjour en tant que tel. Reste que, comme pour tous les étrangers autorisés à circuler, un document de voyage devra être en leur possession. Beaucoup de demandeurs d’asile en sont cependant dépourvus. Il est vrai que le problème perd de sa force depuis l’accélération des procédures de demande d’asile, la courte durée d’instruction laissant peu de place aux déplacements ou aux voyages d’agrément.

Ce n’est pas tant l’entrée en vigueur de la Convention d’application de l’accord de Schengen qui fait peur, au sens où les pratiques qui se développent actuellement en sont directement issues, que leur légitimation d’abord au niveau de six pays, puis de l’Europe communautaire entière. Les avantages nés de la Convention quant à la liberté d’aller et venir risquent de générer à moyen terme des contrôles d’identité au faciès afin de mesurer la portée des dispositions « schengeniennes ». En effet, compte tenu de la confiance mitigée régnant entre les pays signataires, on peut penser que la France aura à cœur de vérifier que les étrangers résidents d’un autre pays ne se maintiennent pas au-delà de trois mois. Comment mieux contrôler les conséquences de la suppression des frontières qu’en procédant ici ou là à des opérations policières à « effet statistique » !

Questions sans réponse...



Obtenir un visa, c’est parfois une épreuve longue et difficile, humiliante aussi quelquefois, où, aux conditions clairement énoncées, s’ajoutent probablement des consignes dont le secret est bien gardé, mais qui sont d’une efficacité telle que les personnes qui souhaitent venir en France pour un court séjour, rencontrent — quand elles sont originaires de certains pays considérés comme « à risque » — les pires difficultés.

Essayant de comprendre le mécanisme d’attribution des visas (conditions suivant les catégories de personnes, durée de validité, délais d’attente, statistiques sur les délivrances et les refus, etc.), nous nous sommes adressés directement aux ambassades et consulats de France situés dans les principaux pays d’immigration.

À ce jour, sur les seize ambassades contactées, sept nous ont répondu, toutes la même chose, à savoir qu’elles ne faisaient qu’appliquer la réglementation du ministère des Affaires étrangères en la matière. Nous étions donc vivement invités à prendre contact avec ce ministère, sa Direction des étrangers en France étant « à même de porter à (notre) connaissance les conditions d’attribution des visas ainsi que les données statistiques afférentes, si elle l’estime possible ».

Entre-temps, cette même Direction, probablement informée directement par les ambassades et les consulats, de notre démarche, prenait les devants et, interprétant partiellement — volontairement ou non — notre demande, nous écrivait : « ... Les buts que s’est fixés votre association m’inclinent à penser que vous vous référez aux visas dits "de regroupement familial" qui permettent aux personnes déjà en France de demander la venue de membres de leur famille encore à l’étranger. Mon département n’étant pas compétent pour ce genre de visas, je suggère que votre association s’adresse à l’Office des migrations internationales qui instruit les demandes de visas concernant ces regroupement de familles ».

Nous lui avons donc écrit directement en lui précisant les points sur lesquels nous souhaitions avoir des informations, c’est-à-dire les visas pour toutes les personnes désirant venir en France pour un séjour touristique et non seulement celles autorisées à entrer au titre du regroupement familial, et en joignant une copie de la lettre que nous avions envoyée aux ambassades et consulats.

Ce courrier, à ce jour, est resté sans réponse...



Article extrait du n°13

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 22:58
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