Article extrait du Plein droit n° 13, mars 1991
« Des visas aux frontières »

Journal d’un bénévole

Un jeudi à 18h.

Les grands froids et la neige n’ont pas empêché les demandeurs d’asile de venir à la permanence. Il y a encore aujourd’hui beaucoup de monde au 46 rue de Montreuil où nous recevons uniquement les personnes qui n’ont pas réussi à obtenir le statut de réfugié, faute de preuve de persécutions politiques... On les appelle les « déboutés » du droit d’asile. La vulgarisation des termes juridiques a souvent des consonances malheureuses.

Cent quatre-vingt personnes sont inscrites, me dit-on, pour aujourd’hui seulement. Depuis sa mise en place en juillet dernier, la permanence n’a pas désempli : plus de trois mille dossiers ont été ouverts et autant de recours envoyés aux autorités désignées comme compétentes par les textes ou les voies hiérarchiques « ordinaires », ou aux autorités politiques (depuis décembre, monsieur Rocard reçoit à son tour les dossiers des demandeurs d’asile déboutés).

On peut à peine circuler dans le couloir et les pièces trop exiguës du CAIF : à cause du froid, Carlos a laissé entrer le plus de gens possible. Non sans difficultés, je parviens à trouver une place. Permanents d’association et bénévoles sont déjà pour la plupart installés depuis le début de l’après-midi. Une première personne, munie d’un numéro de passage — on n’échappe malheureusement pas à la loi du nombre — arrive vers moi. Avant même de jeter un œil sur les documents demandés, il me faut poser l’incontournable question : « Depuis quand êtes-vous en France ? ». J’attends la réponse avec quelque anxiété : je ne puis en effet m’habituer à annoncer, le cas échéant, à la personne que le Réseau ne peut prendre son dossier dans le cadre de cette permanence, parce qu’elle ne rentre pas dans les critères définis par les associations. Quand je sais qu’elle a attendu si longtemps, qu’elle vient de si loin, qu’elle met tant d’espoir dans cette ultime démarche.

Quand les associations qui composent le Réseau ont décidé de mettre sur pied des permanences spéciales pour les demandeurs d’asile n’ayant pu obtenir le statut de réfugié, elles ont dû définir des revendications précises. L’élaboration de ces revendications supposait un seuil de présence minimale en France en deçà duquel les dossiers ne pouvaient pas être pris. La durée de séjour requise s’est imposée d’elle même : les personnes devaient être arrivées avant la réforme de l’OFPRA puisque c’est justement le renforcement des moyens matériels de cet organisme qui a entraîné l’augmentation subite et abrupte du nombre des « déboutés ».

Ouf... « Mon » demandeur d’asile de nationalité zaïroise est là depuis janvier 1987. Trois ans de présence en France, cela correspondrait, sans doute, à la moyenne, si des statistiques avaient été élaborées sur les trois mille dossiers ouverts. Trois ans de présence en France me font espérer un règlement bienheureux. S’il m’interroge sur les chances de succès de sa demande de régularisation, mon sourire trahira un espoir légitime. Répondre ou ne pas répondre aux critères ministériels est l’éternelle question.

Je me perds dans tous les documents qu’il a déposés en vrac sur la table : décision de rejet de l’OFPRA, de la commission des recours, dernier récépissé, certificat d’hébergement, une série de fiches de paye... Sa femme est venue le rejoindre il y a plus d’un an avec leur enfant. Ils sont là tous les deux, un peu perdus.

Le recours est terminé, les signatures apposées. Afin de donner à monsieur X. son « petit carton orange » qui justifie de son passage à la permanence et qui permettra surtout de suivre son dossier, je dois lui attribuer un numéro, ce sera le 2756.

Quelques derniers conseils précèdent son départ : aller voir le syndicat de son choix puisqu’il travaille de façon stable, éviter de se rendre seul à la préfecture, les mauvaises rencontres y demeurent fréquentes, m’a-t-on dit, et puis attendre, toujours et encore, une convocation, une lettre favorable du ministère de la Solidarité... Et puis soudain, je crains de lui avoir donné trop d’espoir ; alors, dans un dernier élan, comme pour me faire pardonner à l’avance un espoir déçu, je lui lance : « vous savez, ce peut être long, rien n’est gagné », mais ils sont déjà repartis avec leur tonne de papiers, de photocopies et le « petit carton orange »... Ils n’entendent plus.


Liste des comités locaux

  • ANGERS (APTIRA)
  • BELFORT (ASTI)
  • BORDEAUX (ASTI)
  • DIJON (Collectif SOS REFOULEMENT)
  • INDRE (CARI)
  • LE HAVRE (APAAM)
  • MARSEILLE (Collectif Réseau Information Solidarité des BOUCHES du RHONE)
  • MULHOUSE (CIMADE)
  • NANTES (GASPROM)
  • NICE (Réseau d’information et de solidarité)
  • ORLEANS (ASTI)
  • PAU (ASTI)
  • PERIGUEUX (ASTI)
  • PETIT-QUEVILLY (ASTI)
  • POITIERS (Le Toit du Monde)
  • ROUEN (Réseau d’information et de solidarité de Seine-Maritime)
  • SAINT-NAZAIRE (CNASTI)
  • STRASBOURG (« Strasbourg Fraternité »)
  • VALENCE (ASTI)



Article extrait du n°13

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 22:58
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