Article extrait du Plein droit n° 13, mars 1991
« Des visas aux frontières »

L’intrusion dans le non-droit : une association en zone internationale

Depuis sa création il y a quelques mois, l’ANAFÉ a précisé ses objectifs et orienté ses efforts dans plusieurs directions. Toutefois, le succès de son action ne dépend pas que de l’ardeur de ses militants ; il est en effet grandement conditionné par les relations entre l’association et les pouvoirs publics, en particulier avec le ministère de l’intérieur.

Dans son numéro 10 (mai 1990), Plein Droit a déjà eu l’occasion de faire état de la création de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFÉ). Cette association, dont la spécificité est de rassembler des organisations humanitaires et des organisations syndicales, a pour but de favoriser l’information et le respect des droits des étrangers qui éprouvent des difficultés à se faire admettre à l’entrée du territoire français.

La composition de l’association — à laquelle participent des syndicats de personnels travaillant dans les aéroports — et l’acuité des problèmes rencontrés par les étrangers venant en France par voie aérienne, expliquent que, jusqu’à présent, l’ANAFÉ s’est principalement préoccupée de la situation à Roissy et à Orly. Mais ses ambitions sont plus vastes.

Il apparaît comme une lapalissade de dire que, si l’on ne laisse pas entrer les étrangers en France, les questions de l’immigration et de l’asile seront réglées par tarissement de la source. Et l’on peut se demander si ce n’est pas l’orientation que prennent, consciemment ou non, les pouvoirs publics, tant les pratiques constatées et les obstacles dressés par les autorités de police — et par le ministère de l’intérieur quand il est appelé à intervenir — semblent correspondre à une volonté de fermer, autant que faire se peut, les frontières à toute personne à l’égard de laquelle il existerait un commencement de soupçon qu’elle soit susceptible d’être étiquetée comme « immigrant ».

Une rétention sans statut

C’est ainsi, en particulier, que les demandes d’asile — qui, certes, ne sont pas toujours formellement exprimées faute de connaissance du français par les intéressés — sont de moins en moins entendues, qu’elles sont examinées et appréciées sur place, l’OFPRA étant ainsi dessaisi d’une partie de ses attributions, et que la situation des intéressés — qui sont retenus, pendant la durée de l’examen de leur demande, en « zone internationale » — est des plus précaires.

Retenus parfois pendant des semaines dans des locaux au statut indéfini, dans des conditions matérielles, sanitaires et morales généralement très difficiles, ne disposant d’aucun droit effectif, les étrangers en attente d’une décision statuant sur leur demande d’entrée en France se trouvent dans une situation qui n’est régie par aucun texte et cette absence de toute réglementation ne peut, bien évidemment, que leur être préjudiciable.

C’est ce qui a conduit l’ANAFÉ, au cours des premiers mois de son existence, à porter ses efforts dans trois directions.

1. Elle a pris contact avec le ministère de l’intérieur pour demander que, comme sa mission statutaire l’y destine, elle soit chargée de l’accompagnement humanitaire des étrangers dans les aéroports, prévu par la circulaire du 2 août 1989 prise pour l’application de la loi Joxe (voir Plein Droit, n° 9). Les pourparlers sur ce point sont actuellement toujours en cours et une réponse du ministère est attendue dans un délai qui devrait, maintenant, être bref.

Le sens et le contenu de cette réponse, la prise en compte des conditions posées par l’ANAFÉ, fonderont à la fois son acceptation ou non de mener cette mission d’intérêt général et, par voie de conséquence, la possibilité pour elle de réaliser ou non ses objectifs.

Les visas, encore et toujours

2. Une demande a été adressée à Madame Avice, ministre délégué auprès du ministre des Affaires étrangères, pour obtenir communication de l’Instruction générale sur les visas, afin de pouvoir intervenir efficacement et en toute connaissance de cause lorsque l’entrée du territoire est refusée pour défaut des documents exigés.

Cette communication ayant été refusée, l’ANAFÉ a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui a émis un avis négatif, au motif que l’instruction contiendrait des informations concernant le secret des relations internationales.

L’ANAFÉ a porté l’affaire devant le tribunal administratif de Paris (cf. l’encadré « Petit guide de l’administré curieux et persévérant »).

3. Enfin, l’association projette d’organiser un colloque, qui se tiendrait à Paris en novembre 1991, sur le statut juridique des zones frontières. Il s’agirait d’éclaircir ce domaine où prédominent actuellement l’ombre et le non-droit, afin de tenter d’aboutir à une définition des droits et des obligations respectifs des autorités de police et des étrangers, pour soustraire ceux-ci à l’arbitraire auquel ils se trouvent, en l’état actuel, confrontés.

Il n’est pas inutile de signaler que ce projet a déjà reçu le patronage de Catherine Lalumière, secrétaire général du Conseil de l’Europe, qui a fait part de son intérêt pour cette initiative qui rejoint les préoccupations qui sont celles de son organisation.

Ce bilan et ces perspectives peuvent paraître encore modestes, mais l’ANAFÉ a l’espoir de pouvoir faire beaucoup plus. Il est vrai que le développement des activités de l’ANAFÉ et l’accomplissement de la mission qu’elle s’est fixée dépendent en grande partie de ses relations avec les pouvoirs publics et, principalement, avec le ministère de l’intérieur qui peut, seul, l’autoriser à être présente en zone internationale et définir la nature et l’étendue de son rôle dans ce cadre. Mais l’ANAFÉ est, d’abord, une organisation militante et non une institution parapublique, et, quels que soient les moyens qui lui seront donnés, elle œuvrera toujours pour la défense des droits des étrangers, et particulièrement des demandeurs d’asile, cibles privilégiées d’une opinion publique et d’une classe politique de plus en plus repliées sur elles-mêmes et xénophobes.

Petit guide de l’administré curieux et persévérant



Comment accéder aux documents administratifs ?

Selon la loi du 17 juillet 1978, complétée par le décret du 28 avril 1988, quand une personne (physique ou morale) désire avoir communication d’un document administratif, elle doit en faire la demande au service dont ce document émane ou qui le détient.

Si cette communication est refusée (l’absence de réponse au bout d’un mois valant refus), l’intéressé dispose d’un délai de deux mois pour saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) qui, dans le mois de sa saisine, rend un avis sur la communicabilité ou l’incommunicabilité du document.

Cet avis est transmis à l’autorité administrative compétente qui doit faire connaître, dans le mois de sa réception, la suite qu’elle entend y donner. Si le refus de communication est confirmé (par une décision expresse ou implicite), l’intéressé peut former un recours devant le tribunal administratif qui doit, en principe, statuer dans les six mois. En cas de rejet du recours, appel peut être formé auprès du Conseil d’État.

Si le juge administratif (tribunal administratif en premier ressort ou Conseil d’État en appel) annule le refus de communication du document, cette décision n’oblige pas l’administration à procéder à la communication ; elle a simplement pour effet de lui interdire de renouveler son refus pour le même motif. L’administré est donc, de toute façon, contraint de faire une nouvelle demande dont l’issue reste toujours incertaine...

Cette procédure, longue et complexe, d’une efficacité limitée, a été mise en place pour concilier le droit des administrés à avoir connaissance des documents administratifs, la garantie du secret de certaines activités administratives (défense nationale, diplomatie, sûreté de l’État, procédures judiciaires en cours, vie privée, etc.), tout en préservant l’administration des demandes abusives et en évitant l’engorgement de la juridiction administrative (d’où le « filtre » obligatoire de la CADA).

La conséquence en est généralement que les administrations ont une notion extensive des documents non communicables et que les administrés se découragent d’aller jusqu’au bout de la procédure. L’ANAFÉ, quant à elle, est décidée à épuiser les voies de recours, si besoin est, pour obtenir satisfaction.



Article extrait du n°13

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Dernier ajout : lundi 24 mars 2014, 22:58
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