Article extrait du Plein droit n° 78, octobre 2008
« Saisonniers en servage »
Des droits sociaux même pas saisonniers
Véronique Baudet-Caille
Juriste, membre du Gisti
Si le principe de l’égalité de traitement devrait prévaloir en matière de protection sociale des travailleurs salariés saisonniers, dans la réalité un long chemin reste à parcourir pour y parvenir. Les actions menées par le collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture (Codetras) dans les Bouches-du-Rhône, département qui accueille 20 à 25 % des saisonniers étrangers en France, montrent à quel point les droits de ces travailleurs sont bafoués [1]. Leur couverture sociale ne fait pas exception à la règle. Si les principes fixés par le code de la sécurité sociale ou l’assurance chômage pour déterminer les droits des saisonniers ne leur sont pas toujours très favorables, s’ajoute pour les étrangers la difficulté de les faire appliquer et de faire également appliquer les règles de droit commun. La situation est particulièrement préoccupante pour les salariés sous « contrats OMI », c’est-à-dire pour les saisonniers recrutés par l’intermédiaire de l’Anaem (qui a remplacé l’OMI). Si le contrat OMI est un contrat à durée déterminée (CDD), il n’a pas le même régime juridique que les CDD « classiques » [2]. En outre, les salariés ne bénéficient pas de la totalité des droits sociaux alors qu’ils paient les mêmes cotisations que tous les travailleurs. Beaucoup travaillent depuis de longues années en France sous ce statut précaire, certains depuis plus de trente ans, et sont obligés chaque année de rentrer quelques mois dans leur pays d’origine « pour respecter l’apparence juridique » du travail saisonnier, selon les termes mêmes du tribunal administratif de Marseille [3]. La non reconnaissance du caractère permanent de cette main-d’œuvre et de son séjour régulier en France l’empêche de faire valoir ses droits sociaux et la maintient, ainsi que sa famille, dans une situation de grande précarité.
Lorsqu’il travaille pour la première fois en France, le salarié saisonnier titulaire d’une autorisation provisoire de séjour avec autorisation provisoire de travail ou d’un contrat saisonnier OMI ou encore de la nouvelle carte de séjour temporaire « travailleur saisonnier » est immatriculé à la sécurité sociale et devient assuré social. Un numéro de sécurité sociale qu’il conserve toute sa vie professionnelle lui est attribué. Il bénéficie d’une protection sociale dès lors qu’il remplit les conditions requises et est en situation régulière.
La loi du 24 juillet 2006 a créé une carte de séjour temporaire spécifique « travailleur saisonnier », destinée aux étrangers titulaires d’un contrat de travail saisonnier qui s’engagent à maintenir leur résidence habituelle hors de France. Ce titre est valable trois ans, mais ne permet à son titulaire de séjourner en France que pendant la période des travaux saisonniers et au maximum six mois sur douze, toute prolongation jusqu’à huit mois étant désormais impossible [4] contrairement à ce qui était auparavant admis dans certains secteurs et était devenu quasiment la règle.
L’objectif de cette mesure est « d’encourager le retour des travailleurs saisonniers dans leur pays à l’issue de leur période de travail autorisée en France tout en leur garantissant de pouvoir revenir travailler en France l’année suivante, sous réserve d’obtenir un nouveau contrat de travail avec un employeur » [5] et ce, pendant les trois ans couverts par la carte. La loi met en place un titre de séjour là ou il n’y en avait généralement pas : souvent, et notamment dans les Bouches-du-Rhône, le contrat de travail faisait office de titre de séjour. D’autres départements accordaient des cartes de séjour « salarié » pour la durée du contrat. La carte « travailleur saisonnier » ne changera rien aux difficultés que connaît le salarié pour bénéficier d’une couverture sociale et notamment des prestations de l’assurance maladie (voir ci-dessous). L’étranger a l’obligation de quitter la France après les périodes de travail autorisées. S’il ne le fait pas, son titre de séjour peut lui être retiré, conformément aux règles fixées par le code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA). Il lui sera alors très difficile de bénéficier de l’assurance maladie.
Être salarié ne suffit pas pour avoir droit à l’assurance maladie. Il faut avoir travaillé ou cotisé une durée minimum à la date des soins, c’est-à-dire au moins soixante heures au cours du mois précédent (ou cent vingt heures sur le trimestre ou mille deux cents heures sur l’année). Il arrive par conséquent que les salariés exerçant des activités saisonnières ne remplissent pas les conditions de droit commun requises pour avoir droit aux remboursements des frais de santé. Les travailleurs saisonniers ont tout de même droit aux remboursements des soins s’ils justifient avoir travaillé au moins huit cents heures ou cotisé sur au moins 2 030 fois le Smic au cours des douze derniers mois. Tous les saisonniers sont concernés par ces règles, qu’ils soient sous contrat OMI ou non. Ils peuvent théoriquement être affiliés sans attendre d’avoir travaillé soixante heures dans le mois en faisant valoir des heures de travail de la saison précédente. Le salarié a alors droit aux remboursements de soins comme les autres (frais de consultations de médecins, médicaments, analyses, hospitalisation, frais de transports…).
Théoriquement, à l’issue de son contrat de travail saisonnier, le salarié ne perd pas ses droits à l’assurance maladie. Le principe du maintien des droits est important. Lorsque le salarié ne remplit plus les conditions pour être assuré social, notamment parce qu’il ne travaille plus et que son titre de séjour arrive à expiration, ses droits aux remboursements de soins et aux indemnités journalières versées en cas d’arrêt de travail sont maintenus pendant un an (article L. 161-8). Les caisses de la mutualité sociale agricole (MSA) ont souvent refusé d’appliquer le maintien de droits aux saisonniers agricoles titulaires d’un contrat OMI. C’est ce qui est arrivé en 2004 à un travailleur qui, quelques jours après la fin d’une saison, se rend chez le dentiste. Sa carte vitale étant bloquée, il demande à la MSA de faire jouer le maintien de droits. Malgré le soutien du Codetras, dix-huit mois de procédure et cinq audiences devant le tribunal des affaires de sécurité sociale, la MSA refusera pour un motif juridiquement infondé selon lequel « le maintien des droits ne s’applique pas pour les salariés agricoles, titulaires d’un contrat de travail délivré par l’Office des migrations internationales ». Finalement, la ténacité paiera. Le jour de la dernière audience le 22 mars 2006, la MSA remboursera à l’assuré les quarante euros de soins engagés en 2004.
La sécurité sociale continue régulièrement de refuser de faire jouer le maintien de droits, d’autant que sa position se trouve aujourd’hui confortée par les nouvelles règles issues du décret n° 2007-354 du 14 mars 2007. Combinées à celles relatives à la carte de séjour temporaire « travailleur saisonnier », elles constituent un obstacle à l’application du maintien des droits. Ce dernier est soumis en effet à une condition de résidence en France. Sont considérées comme résidant en France les personnes qui ont sur le territoire métropolitain ou dans un département d’outre-mer leur foyer ou le lieu de leur séjour principal. Les personnes qui séjournent en France pendant plus de six mois au cours de l’année civile de versement des prestations sont réputées avoir en France le lieu de leur séjour principal. Or, la nouvelle carte de séjour temporaire « travailleur saisonnier » prévoit que l’étranger séjourne au maximum six mois par an en France et s’engage à maintenir sa résidence habituelle hors de France. Les travailleurs saisonniers vont donc se trouver totalement exclus de ce dispositif.
Au regard des droits au chômage, la situation des saisonniers est également complexe. Le régime d’assurance chômage prend bien en compte la situation des saisonniers mais il leur applique des règles spécifiques. La convention du 18 janvier 2006 applicable jusqu’au 31 décembre 2008 a restreint les possibilités d’indemnisation des chômeurs saisonniers, en particulier en limitant à trois le nombre de périodes successives de versement des allocations de chômage au titre du chômage saisonnier. À partir de la quatrième demande de chômage, le saisonnier perd donc son droit à l’allocation pendant la morte-saison.
Le chômage saisonnier résulte soit d’une succession d’activités saisonnières dans certains secteurs, soit du rythme d’activité suivi par le travailleur. Est ainsi chômeur saisonnier le travailleur qui a exercé, au cours de deux des trois années précédant la fin du contrat de travail, une activité saisonnière dans l’un des secteurs d’activité suivants : exploitations forestières, centres de loisirs et de vacances, sport professionnel, activités saisonnières liées au tourisme, activités saisonnières agricoles, casinos et cercles de jeux. L’est également celui qui, au cours des trois dernières années précédant la fin de son contrat de travail, a connu des périodes d’inactivité chaque année à la même époque. Il doit avoir cotisé au moins 182 jours pendant les vingt-deux derniers mois précédant la fin de son contrat. Cette condition est remplie par tous les travailleurs OMI qui travaillent en France sur des contrats d’au moins quatre mois. Et pourtant, ces travailleurs ne peuvent bénéficier des allocations de chômage à l’issue de leur contrat, au motif qu’ils ne sont pas en situation régulière. Les étrangers subissent donc là encore une discrimination flagrante.
Le statut de saisonnier a aussi des incidences dans le domaine de la retraite. Les conditions d’obtention d’une retraite de base de la sécurité sociale sont identiques à celles applicables aux autres salariés [6]. Si beaucoup de ces travailleurs cotisent pendant vingt ou trente ans à l’assurance vieillesse, très peu atteignent le nombre d’années nécessaires pour valider une retraite au taux plein. De plus, les salaires annuels moyens à partir desquels est calculée la retraite sont très faibles. Au final, ils n’obtiennent généralement qu’une pension minorée.
La retraite de base de la sécurité sociale peut être liquidée et versée à taux plein à soixante ans si l’assuré justifie du nombre de trimestres requis ou en cas d’inaptitude au travail reconnue par un médecin. Si l’assuré n’a pas le nombre de trimestres nécessaires, ou s’il n’est pas inapte, il a souvent intérêt à attendre l’âge de soixante-cinq ans pour demander la liquidation de sa retraite. Avant, l’application de la décote réduit fortement le montant de la pension. À soixante-cinq ans, ou au-delà, le taux plein est accordé quelle que soit la durée d’assurance.
Pas de visa pour les retraités
Depuis le 1er janvier 2008, tous les assurés nés après 1947 voient leur retraite liquidée sur la base d’un salaire annuel moyen calculé sur les vingt-cinq meilleures années. Ce mode de calcul est particulièrement pénalisant pour les travailleurs ayant eu de faibles salaires a fortiori lorsqu’ils travaillaient six ou huit mois par an. Moins le salarié a cotisé, plus le montant de sa retraite sera faible, même calculée au taux plein. Lorsque les saisonniers résident au France, ils doivent justifier de la régularité de leur séjour, pour obtenir une retraite de base de la sécurité sociale, c’est-à-dire être en possession d’un document ou titre de séjour mentionné à l’article D. 115-1 du code de la sécurité sociale. L’étranger peut aussi justifier de la régularité de son séjour en France par la présentation d’une carte de résident ou d’un titre de séjour arrivé à expiration pendant une période de trois mois à compter de la date d’expiration du document produit [7].
Les saisonniers qui ne résident plus en France peuvent demander la liquidation de leur pension depuis le pays d’origine. En effet, il n’est pas nécessaire de résider sur le territoire français au moment de la liquidation de sa pension pour percevoir les prestations d’assurance vieillesse [8]. Cependant, le récapitulatif de carrière étant une démarche fastidieuse et complexe, la présence du salarié en France est souvent préférable pour lui permettre de faire valoir ses droits et vérifier les informations de la caisse d’assurance vieillesse. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs considéré, le 13 août 1993, que, sous réserve des exigences de l’ordre public, l’autorité administrative devait accorder « aux étrangers, qui sollicitent leur entrée sur le territoire français pour obtenir cette liquidation, un titre de séjour dont la durée est de nature à permettre effectivement celle-ci ». Mais, le 4 novembre 2002, le Conseil d’État a remis en cause cette position et considéré que, dès lors que les démarches pour faire liquider une pension de vieillesse pouvaient être accomplies dans le pays d’origine du demandeur, les autorités consulaires étaient en droit de refuser d’octroyer un visa. En pratique, il est donc très difficile pour le travailleur qui souhaite venir en France pour demander la liquidation de sa retraite de le faire. Une fois liquidée, la retraite de base de la sécurité sociale est exportable dans le pays d’origine mais le retraité doit adresser régulièrement des certificats de vie. S’il ne réside plus en France, il perd tous ses droits à l’assurance maladie, y compris pour ses ayants droit, alors qu’il continue de cotiser à la sécurité sociale.
Les personnes ayant peu cotisé et dont la retraite de la sécurité sociale est faible, peuvent demander l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa, ex-minimum vieillesse) qui leur assure un revenu minimum mensuel, dès lors qu’elles justifient d’une résidence stable et régulière sur le territoire. Cette allocation n’est versée que sous condition de résidence habituelle en France, cette condition étant remplie dès lors que la personne réside plus de six mois au cours de l’année civile. Elle n’est pas exportable. Si le travailleur saisonnier ne réside pas en France, il ne peut y prétendre.
Seule la reconnaissance des travailleurs saisonniers, qui cumulent depuis de longues années des CDD ou contrats OMI de six à huit mois par an, comme travailleurs à titre permanent leur permettrait de jouir des droits reconnus aux autres travailleurs notamment en matière de couverture maladie ou de chômage. Récemment, un saisonnier qui travaillait régulièrement depuis trente-trois ans sous contrats OMI de huit mois a obtenu en référé la suspension d’une décision de refus de délivrance d’un titre de séjour en tant que travailleur permanent. Les juges ont notamment relevé, pour justifier leur décision, que ce statut privait le travailleur de tout droit au chômage et ne tenait pas compte de l’ancienneté et de la stabilité de son insertion professionnelle en France [9].
Notes
[1] Les actions du Codetras portent essentiellement sur le droit au séjour des saisonniers. Ces actions ont nécessairement une incidence sur la couverture sociale. En effet, depuis la loi du 24 août 1993, le droit à la plupart des prestations de sécurité sociale est lié à la détention de certains titres de séjour. Sur les aspects de la santé au travail, les accidents du travail et les maladies professionnelles, voir dans ce numéro l’article de Frédéric Decosse, p. 13.
[2] Notamment, les salariés n’ont pas droit à la prime de précarité et ne bénéficient pas de la priorité de réembauchage.
[3] Tribunal administratif de Marseille, 8 février 2007, Baloua. Voir, dans ce numéro, cahier central de jurisprudence.
[4] Articles R. 5221-23 du code du travail.
[5] Circulaire DPL/DMI/2007/81 du 26 mars 2007.
[6] La retraite complémentaire n’est pas liée à la régularité du séjour. Sa liquidation peut être demandée depuis le pays d’origine.
[7] Circ. CNAV n° 2004-5 du 1er octobre 2004.
[8] Code de la sécurité sociale, art. L. 311-7.
[9] TA Marseille, 29 octobre 2007, n° 0706311, Zaaraoui (voir dans ce numéro le cahier central de jurisprudence). 23 refus de séjour ont été suspendus pour les mêmes motifs le 26 mars 2008 par le même tribunal administratif. Depuis juillet 2007, plus de 200 ouvriers agricoles ont demandé au préfet des Bouches-du-Rhône de leur attribuer un titre de séjour à titre permanent. Devant les refus de la préfecture, près de 70 recours pour excès de pouvoir ont été déposés au TA qui a déjà considéré, dans les situations d’urgence, qu’il y avait un « doute sérieux » quant à la légalité du refus du préfet.
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