Article extrait du Plein droit n° 78, octobre 2008
« Saisonniers en servage »

L’« emploi saisonnier » : une notion extensible

Nathalie Ferré

Maître de conférence en droit privé à l’université Paris XIII
Qu’appelle-t-on « emploi saisonnier » en droit du travail ? Existe-t-il une définition unique de ce type de contrat ? Quels secteurs sont concernés ? Si les contrats précaires sont, dans leur ensemble, relativement bien encadrés, il n’en est pas de même des contrats saisonniers, principalement définis par la jurisprudence laquelle, pas plus que la loi, n’offre de véritable protection aux travailleurs.

Le code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA), lorsqu’il traite de la carte de séjour temporaire mention « travailleur saisonnier », renvoie lui-même au code du travail le soin de définir le contrat de travail saisonnier. Plus précisément, l’article L. 313-10 parle de « l’étranger titulaire d’un contrat de travail saisonnier entrant dans les prévisions du 3° de l’article L. 122-1-1 du Code du travail et qui s’engage à maintenir sa résidence hors de France  ». Autrement dit, le travailleur saisonnier étranger doit, pour prétendre à cette qualité, exercer un emploi satisfaisant aux exigences en la matière de la réglementation sociale. Il paraît logique d’avoir une définition unique. Étant entendu que si abus il y a, il n’est pas le fait des salariés mais celui des employeurs. L’action du Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône (Codetras) [1] est là pour en témoigner. Nous en dirons quelques mots.

Depuis la loi du 12 juillet 1990, et en attendant que d’autres réformes ne viennent bousculer et remettre en cause certains principes directeurs du droit du travail et en particulier du droit des contrats précaires, les cas de recours autorisés à ces contrats sont strictement énumérés. Ainsi, l’article L. 1242-2 du nouveau code du travail (ex : article L. 122-1-1) cite, parmi les hypothèses permettant la signature d’un CDD ou d’un contrat de mission (dans le cadre du travail temporaire) : « les emplois à caractère saisonnier ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité, définis par décret ou par convention ou accord collectif de travail étendu, il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois  ». Cette disposition vise deux situations distinctes qu’il ne faut pas a priori confondre. L’article D. 1242-1, qui énumère les secteurs d’activité pour lesquels il est d’usage de ne pas recourir à un CDI s’agissant de certains emplois, ne mentionne pas les activités ou exploitations agricoles. En revanche, sont citées l’hôtellerie et la restauration, secteurs qui peuvent aussi donner lieu à des contrats saisonniers, selon notamment leur implantation géographique. Pour les emplois saisonniers, il n’existe pas de liste exhaustive fixée par voie réglementaire.

La loi ne définit pas pour autant ce qu’il faut entendre par « emplois à caractère saisonnier  ». Selon la circulaire de la direction des relations de travail du 30 octobre 1990, le travail saisonnier concerne des secteurs où l’activité obéit à des rythmes cycliques : à titre d’exemple, et sans qu’il s’agisse d’une quelconque liste, sont évoqués le tourisme, l’agriculture et les entreprises agroalimentaires. La Cour de cassation aura l’occasion de rejeter la qualification d’emploi saisonnier pour une hôtesse travaillant dans un salon dans la mesure où les dates de l’exposition avaient été fixées par l’employeur. Or, selon une jurisprudence constante, la notion de saison ne saurait dépendre de la volonté de celui-ci, et ainsi varier au gré d’éléments subjectifs liés à des choix de gestion décidés en dehors de toute contrainte extérieure.

Une réglementation facilement détournée

Pour la première fois, en 1999, la Haute juridiction judiciaire va adopter une définition de l’emploi saisonnier, dans l’arrêt Tour Eiffel [2] : « le caractère saisonnier d’un emploi concerne des tâches normalement appelées à se répéter chaque année à des dates à peu près fixes, en fonction des rythmes des saisons ou des modes de vie collectifs  ». En l’espèce, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir procédé à la requalification des contrats de travail saisonniers de la salariée au motif que certains CDD n’ont pas correspondu strictement aux vacances scolaires. Les juges d’appel ont cru pouvoir en déduire qu’elle avait dès lors exercé une activité normale et permanente de l’entreprise. Si on peut repérer un accroissement du nombre de touristes (plus largement un accroissement de l’activité), chaque année à des dates à peu près fixes, et que les contrats couvrent lesdites périodes où les visiteurs sont les plus nombreux, alors la qualification d’emploi saisonnier s’impose. Peu importe que les périodes ne correspondent pas strictement aux vacances scolaires, et quelle que soit leur durée. Tel est l’enseignement de cette jurisprudence, désormais constante.

Il ne fait aucun doute que le secteur agricole peut donner lieu à des contrats saisonniers. Pour autant, cela ne signifie pas que toutes les activités relevant dudit secteur justifient la conclusion de tels contrats. Le Codetras a montré, sur la base de nombreux dossiers individuels, que certains employeurs faisaient travailler, par exemple comme femmes de ménage ou gardiennes d’enfant, des personnes dans le cadre de contrats saisonniers. La définition de la Cour de cassation permet à cet égard aux exploitants agricoles une certaine latitude, et de contourner aisément la réglementation.

La loi, comme la jurisprudence, n’est cependant guère protectrice. C’est flagrant concernant la question de la succession de CDD saisonniers. Le code du travail contient une règle susceptible d’être mobilisée pour mettre fin à l’utilisation abusive de contrats. Mais sa mise en œuvre est là encore difficile. Selon en effet l’article L. 1242-1 (ex art. L. 122-1), « un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise  ». Cela signifie que même si la loi ne fixe pas de règles en matière de nombre de CDD [3] et de durée cumulée d’emplois, il est toujours possible de tenter de démontrer que, compte tenu de la durée de la relation contractuelle et du nombre de CDD conclus, preuve est faite qu’il s’agit d’un emploi permanent, et non d’un emploi saisonnier. La jurisprudence l’a admis à plusieurs reprises pour des CDD conclus pour remplacer des salariés absents. Elle se montre beaucoup plus réticente lorsque le motif de recours aux contrats précaires est la « saison » (ou l’usage de ne pas recourir au CDI).

Marge d’appréciation

Au nombre d’années passées à travailler pour le même employeur, s’ajoute une conception élargie, sur le plan de la durée cette fois, de la saison puisque, jusqu’à peu, elle pouvait aller jusqu’à huit mois, fût-ce « à titre exceptionnel ». Cette réserve, figurant sous l’ancien article R. 341-7-2 du code du travail, était facilement contournée, et dans certains coins de France, la règle était bien une durée d’emploi de huit mois par an. Notons que la réglementation de droit commun sur les contrats précaires ne fixe pas de durée maximale, sauf si le contrat est conclu de date à date.

Mais, une fois de plus, les contrats saisonniers font partie des exceptions où il est possible de ne pas prévoir de terme précis (compris de date à date). Le terme sera la fin de la saison, ce qui peut laisser une certaine marge d’appréciation. Pour les seuls travailleurs saisonniers étrangers, le code donne désormais une limite : « Un étranger peut occuper un ou plusieurs emplois saisonniers dont la durée cumulée ne peut excéder six mois par an  » (art. R. 5221-23). La nouvelle disposition réglementaire est désormais en harmonie avec le statut de « travailleur saisonnier » redéfini par la loi du 24 juillet 2006. Si la carte de séjour a une durée de trois ans, le titulaire ne peut pas en effet séjourner et travailler plus de six mois par an. La réforme de ce statut permet aux employeurs de ne plus être obligés de recommencer chaque année la procédure d’introduction.

Ne pas faire du « sentiment »

Pour en revenir aux CDD successifs, la Cour de cassation campe sur des positions que l’on peut estimer sévères à l’égard du travailleur. Contestables sur le plan juridique ? Examinons une situation pour en juger. M. X, travailleur marocain, est employé chaque année depuis 1974, de mai à octobre, en qualité de conducteur d’engin pour l’extraction de minerai – ici du talc. En 1997, son employeur décide de ne pas le réembaucher. M.X saisit le conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la requalification de ces CDD successifs en contrat à durée indéterminée. Il gagne devant les juges d’appel, mais la Cour de cassation remet en cause leur motivation, considérant que les juges du fond s’étaient laissés aller à faire du « sentiment » : après avoir reconnu le caractère saisonnier de l’emploi en tant que tel, ils relèvent que le caractère systématique des renouvellements a pu nourrir le sentiment chez M. X qu’il faisait partie du personnel de l’entreprise. Appréciation erronée selon la Cour de cassation… qui en profite pour rappeler que la possibilité de conclure des CDD saisonniers successifs « n’est assortie d’aucune limite au-delà de laquelle s’instaurerait entre les parties une relation de travail globale entre les parties  » [4]. La seule exigence est que les différents contrats soient justifiés par la « saison ». La Haute juridiction condamne l’appréciation jugée trop subjective de la Cour d’appel. Aucune règle n’a été violée par l’employeur. Il importe peu que le salarié se soit cru « permanent ». Le principe selon lequel les CDD n’ont ni pour objet ni pour effet de pourvoir un emploi lié à l’activité normale de l’entreprise ne prime pas sur les autres règles. On peut émettre toutefois certains regrets lorsque l’on observe la relation de travail elle-même.

Cette jurisprudence a été par la suite confirmée [5]. Une nouvelle fois une cour d’appel a été censurée par la Cour de cassation pour avoir procédé à la requalification des CDD saisonniers au motif que lesdits contrats avaient été reconduits de façon systématique sur une longue période (huit saisons d’été et neuf saisons d’hiver) et qu’ils étaient conclus pour la durée de la saison. Pour la juridiction suprême, les juges du fond ont violé la loi. Elle semble toutefois poser quelques limites à la non-requalification : il ne faut pas a priori que le salarié ait été engagé pour toutes les saisons, qu’il ait travaillé pendant la durée totale de la saison et enfin (surtout ?), que les CDD soient assortis d’une clause de reconduction systématique sur une longue période [6]. Il n’est pas difficile de prime abord pour les employeurs de respecter – ou de faire semblant de respecter – ces quelques règles et de se mettre ainsi à l’abri d’une demande de requalification.

Le droit du travail montre ici ses limites. Certaines procédures initiées devant le juge administratif par le Codetras ont néanmoins pu aboutir parce que les illégalités commises par l’employeur étaient trop manifestes. Ainsi M.K. a obtenu, en mars 2008 [7], la suspension de la décision préfectorale rejetant sa demande de renouvellement de titre de séjour parce que le tribunal a jugé qu’il n’était pas un travailleur saisonnier, mais un travailleur permanent. Le tribunal a relevé que les contrats n’étaient pas conformes à la réglementation sociale, et que celle-ci avait été détournée par l’administration afin de satisfaire des besoins de main-d’œuvre permanente.




Notes

[1www.codetras.org Voir, dans ce numéro, p. 9, Hervé Gouyer, « Un collectif de lutte contre l’expulsion ».

[2Cass. soc. 19 décembre 1999, Bull. V n° 373 ; RJS 9/01 n° 288.

[3Il existe quelques règles mais peu contraignantes au regard de leur champ d’application et du nombre de dérogations prévues. L’article L. 1244-3 du code du travail interdit les CDD successifs sur le même poste, sans respecter un délai de carence.

[4Cass. soc. 15 octobre 2002, Droit social 2002, p. 1140, avec note de Claude Roy-Loustaunau.

[5Cass. soc. 16 novembre 2004, n° 02-46.777

[6Les clauses de reconduction ne sont pas en elles-mêmes interdites, loin de là. L’article L. 1244-2 du code du travail, au contraire, dispose que « les contrats de travail à caractère saisonnier peuvent comporter une clause de reconduction pour la saison suivante ».

[7TA Marseille, ordonnance de référé, n° 0801280, 19 mars 2008, Kardrouch. Voir, dans ce numéro, le cahier central de jurisprudence.


Article extrait du n°78

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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