Mayotte : dénonciations anonymes de « délinquants » hébergeant des personnes « décasées »

31 mai 2017, TGI de Mamoudzou, relaxe de l’hébergeant

Contexte : des "décasages" aux dénonciations anonymes

À partir du mois de janvier 2016, des collectifs de villageois se sont organisés sur l’ensemble du territoire de Mayotte pour expulser les ressortissants comoriens ou étrangers installés dans leurs communes selon un même mode opératoire.
Chaque village de Mayotte a son propre « collectif informel et non identifié ».

Dans un premier temps, une liste des personnes identifiées comme louant ou hébergeant à titre gratuit des étrangers était établie par chaque collectif et transmis aux personnes censées héberger des « clandestins » avec une date butoir pour évacuer les lieux.
Puis, passé cette date, le collectif mettait à exécution sa menace en communiquant aux autorités la liste des « hébergeurs » afin que des poursuites sur un plan pénal soient engagées contre elles pour aide à l’entrée et au séjour des étrangers.
La réponse des autorités tardant à venir, des « manifestations et actions d’expulsions pacifiques [sic] contre l’immigration clandestine » étaient organisés dans les communes concernées (Tsimkoura, Poroani, Choungui, Bouéni).

En juin 2016, plusieurs centaines de personnes - des familles avec enfants -, chassées de chez elles, se sont ainsi retrouvées places de la République, à Mamoudzou. Un véritable camp s’était ainsi improvisé, dont les occupants sont exposés aux intempéries, vivant dans des conditions sanitaires déplorables. Pour que cela cesse, plusieurs associations avaient déposé un référé-liberté. Pendant l’audience, la préfecture annonçait un relogement en urgence et le tribunal a conclut à un non lieu.

Mais beaucoup de "décasés" n’ont pas été relogés et ont dû trouver d’autres solutions.
Les collectifs de villageois ont poursuivi leur pression par des dénonciations anonymes relayées par les autorités municipales ou de gendarmerie.

  • Exemple d’un relais assuré par la mairie de Chirongi :
    Mise en demeure par le maire de Chirongui, 7 février 2017

31 mai 2017 - Premier procès pour délit d’hébergement de personnes "décasées" : relaxe

L’affaire avait commencé par une dénonciation anonyme aussitôt reprise par le maire de la commune dans une mise en demeure adressée à l’intéressé et au procureur :

  • Le 11 août 2016, une "source anonyme voulant préserver son anonymat par peur de représailles" se présente à la gendarmerie de M’Zouazia (dans le sud de l’île) et les informe que M. A.S héberge des personnes en situation irrégulière sur son terrain contre rémunération (loyer).
    PV de gendarmerie, 11 août 2016
  • Le même jour, donc le 11 août 2016, la gendarmerie de M’Zouazi reçoit un document transmis par le Procureur lui demandant d’enquêter à partir d’une liste de noms établis par le "collectif du Sud" (collectif responsable de "décasages" violents dans différentes communes de l’île....et dont les auteurs n’ont pas été poursuivis).
    Le nom de M. A.S figure sur cette liste.
  • Les gendarmes se rendent sur le terrain en question et procèdent aux auditions des personnes présentes. Elles diront toutes la même chose, elles habitaient dans un village voisin avant d’être expulsées avec leurs enfants en bas âge le 15 mai 2016. Elles sont dans un premier temps parties vivre avec les autres au Comité du tourisme et ont ensuite cherché une solution....jusqu’à trouver ce Monsieur. Aucune contrepartie, ni faveurs sexuelles (les gendarmes seront très insistants).

Pourtant, alors qu’aucune convocation ne lui avait été adressée au préalable. M. A.S. subit une perquisition brutale suivie d’une garde à vue

  • Réquisitions du Parquet du 22 août 2016 pour aller chercher M. A.S à son domicile et y effectuer une perquisition dès 6h du matin.
    Réquisitions, 22 août 2016
  • Extrait de l’article du Journal de Mayotte cité ci-dessous : "Le 18 août à 6h du matin, les gendarmes viennent le chercher, fouillent sa maison, et l’emmènent menotté à la gendarmerie de Mzouazia. « J’ai demandé à téléphoner parce que mon père diabétique était alité, mais il m’ont répondu ‘c’est que dans les films qu’on a le droit de passer un appel’. Je suis resté de 7h à 14h, on m’a donné un paquet de biscuits. Quand j’ai menacé de déposer plainte, ils m’ont passé le téléphone. »"

Aux termes de la convocation au TGI de Mamoudzou par officier de police judiciaire, Monsieur A. S. est poursuivi pour avoir :

  • « A Bouéni 97620, sur la période allant du 01/07/2016 au 22/08/2016, en tout cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, par aide directe ou indirecte, avoir facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier en France de Mme H, Mme A, Mme HZ, Mme A, Mme M, en l’espèce les avoir logées, ayant pour effet de les soumettre à des conditions incompatibles avec la dignité humaine. »

31 mai 2017, audience devant le tribunal correctionnel de Mamoudzou

Presse :

Extraits :
On pourrait considérer que l’affaire jugée ce jour est une réplique du séisme des décasages et du long séjour l’année dernière des personnes délogées place de la République. Face à cette plaie béante qu’a offert Mayotte à la France entière pendant plusieurs semaines, aucune solution rapide n’avait été trouvée par la préfecture. C’est dans ce contexte que A.S. est jugé pour avoir hébergé des décasés dans des conditions indignes.
[...] Me Ghaem rappelait que ne peut donner lieu à des poursuites toute aide au séjour sans contrepartie. Elle rappelait que A.S. avait accueilli ces personnes qui, lorsqu’elles se trouvaient place de la République, n’avaient pas été expulsées, « il a pensé qu’être maman d’enfant français les protégeait. » A.S. leur a fait signer un contrat d’hébergement temporaire, auquel il joint le certificat de naissance de leurs enfants.
Revenant sur une possible contrepartie, « elles se partageaient les factures d’eau et d’électricité, c’est bien la moindre des choses ». Aucun travaux, ni faveur sexuelles, en échange plaide-t-elle, en sous-entendant une procédure déficiente.

TGI de Mamoudzou, 31 mai 2917, n°0556/2017
« Dans la mesure où les conditions d’exception de l’article L. 622-4 du Ceseda sont remplies, le prévenu ayant apporté secours dans un motif altruiste afin d’assurer des conditions de vie dignes et décentes à des étrangers en situation d’urgence, il convient de le relaxer des chefs de la prévention »
Relaxe
TGI de Mamoudzou, 31 mai 2017, n° 2016/006249

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Dernier ajout : lundi 14 mai 2018, 13:16
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