N° 47-48 de Plein droit, la revue du Gisti
Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien
Deux ans et demi après son entrée en vigueur, il est possible de tirer un bilan des vices et des vertus de la « loi Chevènement ». On se souvient que cette nième réforme de l’ordonnance du 2 novembre 1945 avait été présentée, avec tambours et trompettes, par le gouvernement Jospin comme un grand projet modernisateur en matière d’immigration. Désormais, avait promis le premier ministre, la politique de la France serait « ferme et digne ».
A la pratique, la fermeté l’a amplement emporté sur le souci de dignité. Comment aurait-il pu en être autrement, puisque le gouvernement avait pris soin de ne pas abroger les lois Pasqua de 1993 et que M. Chevènement avait, dès l’adoption de sa loi par le Parlement, adressé une circulaire d’application aux préfets, qui verrouillait méthodiquement les quelques dispositions un peu novatrices — sur le papier — de sa réforme ?
Dans sa prochaine livraison intitulée « Beaucoup de bruit pour rien », à paraître au début de janvier 2001, « Plein Droit », la revue trimestrielle du GISTI, examine point par point les effets des nouveautés de la loi Chevènement. Il en ressort le constat que rien ou presque n’a changé pour les étrangers, sinon peut-être une multiplication de décisions contradictoires des préfectures qui semblent procéder de plus en plus à la tête du client.
Pour s’en tenir aux deux principales innovations, on peut conclure que la montagne n’a pas même accouché d’une souris :
- l’asile territorial (art. 12 ter de l’ordonnance modifiée du 2 novembre 1945) s’avère être purement ornemental dans la réglementation, puisque 95 % des postulants reçoivent une fin de non-recevoir sans autre forme de procès ;
- le respect de la vie privée et familiale (art. 12 bis) s’apparente davantage à une loterie aléatoire qu’à un moyen d’assurer la régularisation des étrangers installés dans la société française.
La véritable innovation du dispositif réglementaire inventé par le gouvernement Jospin est ailleurs. En permettant à l’administration de traiter les étrangers à peu près comme elle le souhaite, ce dispositif permet aussi d’adapter la distribution de cartes de séjour aux besoins du marché du travail. La réforme Chevènement est donc essentiellement une réforme d’inspiration libérale qui, une fois de plus, repose sur une conception utilitariste des étrangers.
A noter que le ministère de l’intérieur n’a pas communiqué au Gisti ses statistiques pour l’année 1999. Aurait-on perdu les chiffres Place Beauvau, ou leur publication risquerait-elle de révéler des données jugées gênantes ?
Sommaire
Édito
- Décrue
L’évolution du nombre des étrangers en France mesurée par l’INSEE à l’occasion du recensement de 1999.
Dossier - Loi Chevènement : Beaucoup de bruit pour rien
- Ouverture à la tête du client
La réforme Chevènement s’apparente à un retour aux vieilles valeurs libérales pour lesquelles l’immigré est d’abord un instrument économique d’appoint. Une simple adaptation aux besoins de main-d’oeuvre déclenchés par la reprise.
- Les subtilités du Conseil d’État
Le droit au respect de la vie familiale et de la vie privée sérieusement verrouillé par le ministre de l’intérieur.
- Une vie familiale « subsidiaire » ?
Les préfectures font une application plus que restrictive des droits liés à l’existence de liens familiaux.
- Papiers d’intérêt général
La réglementation, et surtout les pratiques préfectorales, font de la loi Chevènement un outil au service d’un « développement séparé » des étrangers. Ce qui conduit les élus locaux opposés à cet apatheid de fait à multiplier les interventions pour tenter d’y mettre un frein.
- Les étrangers ont-ils une vie privée ?
Un arrêt récent du Conseil d’Etat empêche l’expulsion d’un Ukrainien en concubinage avec un Français, ce qui tend à confirmer que la vie privée donne des droits.
- L’illusion d’une régularisation
L’exigence de preuves impossibles à produire neutralise le droit des étrangers présents en France depuis au moins dix ans à obtenir un titre de séjour.
- Le statut paradoxal des malades étrangers
La loi a créé un « droit virtuel ». Dans ce dommaine comme dans les autres, on enregistre un grand écart entre droit formel — possibilité de titres de séjour — et réalité pratique — rejet des demandes.
- La commission alibi
Leur composition, leur rôle purement consultatif et surtout la liberté laissée aux préfets de convoquer ou non les nouvelles commissions du titre de séjour limitent l’influence potentiellement positive de ces instances de recours.
- Une France qui se protège des persécutés
Alors que l’invention de l’asile territorial a été présenté comme un modèle d’humanisme, les chiffres du nombre de persécutés déboutés de leur demande — statut de réfugié ou asile territorial — montrent que la France est surtout douée pour se protéger des réfugiés.
- Cuisine statistique à l’OFPRA
Comment 5% de réponses positives aux demandeurs du statut de réfugiés deviennent 20% dans les comptes de l’organisme chargé de défendre le droit d’asile.
- Asile territorial : un parcours lyonnais
Quelques exemples du traitement à la chaîne de demandeurs d’asile dans la région lyonnaise.
- Tapis rouge pour les élites
La création d’une carte de séjour « scientifique » ne s’est pas traduite par l’abandon de toute suspicion à l’égard des chercheurs et des enseignants étrangers du supérieur. Elle renforce, par ailleurs, la volonté de l’administration de maintenir les étudiants « lambda » dans un carcan dissuasif.
- Chercheurs étrangers : pas si privilégiés
Enquête auprès de quelques organismes de recherche et auprès de la Fondation Alfred Kastler.
- L’entrée des artistes
La nouvelle carte de séjour « profession artistique et culturelle » ne concerne qu’un très petit nombre d’artistes.
- Une carte boudée par les retraités
Les inconvénients l’emportant largement sur les avantages, les retraités étrangers boudent la nouvelle carte qui était censée leur convenir.
- Les résistances au principe d’égalité
En ce qui concerne les prestations non contributives (allocation adulte-handicapé, allocation du fonds de solidarité vieillesse, etc.), l’égalité se heurte à des obstacles administratifs têtus.
- Défaite ou victoire ?
Le Conseil d’Etat a annulé, le 30 juin 2000, une partie de la circulaire d’application de la loi Chevènement à la suite d’un recours du Gisti.
Actualité générale
- Des milliers de fantômes en camp
A Sangatte, près de Calais et de Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais, un « camp » subventionné par le ministère de l’emploi et de la solidarité héberge, chaque année, près de 15 000 persécutés de la planète auxquels nul ne propose la protection de l’asile, et dont l’administration et la police françaises se débarrassent en les regardant partir en Angleterre.
Voir aussi le dossier « Enquête sur les « réfugiés » de Sangatte ».
- Les travailleurs sans titre et la justice
Les salariés étrangers non déclarés par leurs employeurs sont sanctionnés par les tribunaux en dépit du fait qu’ils sont en réalité victimes d’un délit commis par d’autres.
- Eau et plomb à tous les étages
Dans un immeuble du dix-neuvième arrondissement de Paris, vingt-cinq familles étrangères étaient exposées au saturnisme jusqu’à ce qu’elles engagent des poursuites contre la mairie devant les tribunaux.
Jurisprudence
Comme d’ordinaire dans « Plein Droit », une sélection de décisions importantes de tribunaux en faveur des étrangers.
Concours
- Concours « Les immigrés, ça sert énormément »
N° 47-48, janvier 2001,
80 pages,
9 € + frais d'envoi
ISSN 0987-3260
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