Article extrait du Plein droit n° 2, février 1988
« Logement : pourquoi des ghettos ? »

Une aide, beaucoup d’abus

La création de l’Aide Personnalisée au Logement (APL) à partir de1978 a constitué un tournant décisif dans la politique d’aide au financement du logement.

L’aide à la pierre, jusque-là prioritaire, est désormais complétée par une nouvelle forme de contribution publique, l’aide à la personne, consentie sous le mode du tiers-payant, non plus aux constructeurs ou promoteurs de logements, mais à l’occupant lui-même, propriétaire ou locataire, en fonction de ses ressources et de sa situation familiale.

Par décret du 11 avril 1979 [1] comportant certains aménagements, le système A.P.L. est étendu aux logements-foyers avec, pour objectif, d’assainir leur gestion et de résorber les déficits devenus chroniques depuis plusieurs années.

Quelle application dans les foyers

Mais, dans la pratique, son application, notamment dans les foyers les plus vétustes et les plus mal entretenus, s’est heurtée à de nombreuses difficultés du fait des gestionnaires.

Il faut rappeler que la mise en place de l’A.P.L. est subordonnée à la signature d’une convention portant sur l’immeuble qui fixe certaines obligations (travaux d’amélioration, montant et évolution des loyers…) que le bailleur est tenu de respecter. Dans les logements-foyers, cette convention est tripartite. Elle est conclue entre l’État, représenté par le Fonds National pour l’Habitation, la Caisse d’Allocations Familiales et le bailleur.

Elle impose des obligations au propriétaire des murs et au gestionnaire.

Le foyer doit présenter un bon état d’habitation et, en conséquence, le propriétaire et le gestionnaire doivent faire exécuter tous les travaux nécessaires à cette mise en état.

Pour permettre le contrôle des obligations, le gestionnaire doit tenir un carnet d’entretien sur lequel sont consignées toutes les interventions : d’entretien, de réparations, d’améliorations faites ou à faire par le propriétaire de l’immeuble.

L’organisme dispose d’un délai à définir avec la Direction Départementale de l’Équipement pour présenter le carnet d’entretien.

Le gestionnaire doit proposer aux occupants un titre d’occupation. [2]

Le résident dispose, pour se décider, d’un délai d’un mois au terme duquel l’ensemble des dispositions relatives à l’A.P.L. s’appliquent de plein droit.

Ce titre doit être conclu pour une durée d’un mois renouvelable par tacite reconduction pour la même période à la seule volonté de l’occupant. Il peut être rompu par ce dernier sous préavis de huit jours. Il est à noter que la résiliation de la convention, pour un foyer, ne peut intervenir qu’après avis de la Commission départementale de l’A.P.L. compétente, à titre simplement consultatif, en matière de suivi des mises en place d’A.P.L. (barème, révision, financement et versement).

En contrepartie, le résident doit payer une redevance.

La fixation de son montant, obéit à des règles relativement complexes. On retiendra que l’A.P.L. ne s’applique qu’à une partie de la redevance représentant l’équivalent-loyer et les charges récupérables. En revanche, les prestations et le coût du mobilier sont exclus. Chaque année, un arrêté du ministre des Affaires sociales fixe, par zone et par type de foyer, le montant maximum que peut atteindre la redevance.

Le gestionnaire doit remettre au résident un document faisant apparaître le montant de la redevance, le montant de l’équivalent-loyer et des charges locatives, et le montant de l’A.P.L.

Les abus du BAS

Par délibération du 8 juin 1984, le Conseil d’Administration du Bureau d’Aide Sociale (BAS) de la Ville de Paris a décidé de conventionner à l’A.P.L. ses dix foyers de travailleurs migrants.

Selon le Préfet de Paris, « cette décision se justifiait par la situation déficitaire de ces foyers avec le système du prix de la journée. Ce déficit était supporté par la Ville (19,3 millions de francs en 1980 et 22 millions en 1984), et par l’État, par l’intermédiaire du FAS (0,8 millions de francs en 1980 et 6,2 en 1984 […] Les services préfectoraux ont accepté le conventionnement sans travaux […] Le BAS a profité de cette possibilité pour faire application des maxima prévus par les conventions… ».

En conséquence, sans information préalable, les résidents des foyers des Arbustes, de Gergovie et de Clisson se sont vu notifier une augmentation de leur redevance allant de 100 à 140 % pour des chambres totalement dépourvues de confort, avec, de surcroît, l’obligation de payer, en même temps, le montant de la caution fixée à 100 % de la redevance.

Face à la réaction des résidents demandant des explications, des délais et une négociation, le BAS est resté intraitable. Les résidents ont donc décidé une grève des loyers et ont parallèlement engagé une procédure devant le Tribunal de Grande Instance de Paris pour voir fixer, par justice, le montant de la redevance. Après dix-huit mois de procédure, le BAS, par des moyens dilatoires portant sur la compétence du tribunal, est parvenu, jusqu’à ce jour, à éviter le débat au fond et fait effectuer des saisies sur salaires.

Un paradoxe

Il ressort des données chiffrées fournies par le BAS, que les foyers les plus modernes, les mieux équipés tels que le foyer de Vaugirard, coûtent moins cher à entretenir que les foyers vétustes et présentant des malfaçons comme celui des Arbustes. En conséquence, si le prix de revient est plus élevé aux Arbustes qu’à Vaugirard, la redevance sera plus élevée là où les conditions d’hébergement sont les plus mauvaises.

Le BAS, sans aucune adaptation en fonction du foyer, a appliqué systématiquement le prix maximum aux dix foyers parisiens et ceci sans aucun souci d’échelonnement de l’augmentation. Il a préféré se trouver face à des grèves de loyer plutôt que d’envisager une négociation sur la base de la circulaire du 3 juin 1985 qui précise que l’augmentation de la redevance consécutive au conventionnement ne doit pas dépasser 25 % en l’absence de travaux d’amélioration.

L’attitude du BAS est confortée par le fait que la CAF accepte, sans le moindre contrôle, les prix proposés par le gestionnaire : elle finance ainsi, au prix maximum, des foyers mal conçus, mal entretenus, offrant moins de confort que n’importe quel autre logement ordinaire construit à la même époque et qui cependant bénéficie de subventions importantes du FAS et d’autres organismes.

Mais, finalement, les grands perdants de l’opération sont ceux des résidents qui gagnent plus de 5 500 francs par mois et qui se trouvent exclus du bénéfice de l’A.P.L. (dont le barème a été révisé). Ceux-là, en effet, se retrouvent dans un foyer toujours aussi peu confortable et mal entretenu mais devenu démesurément coûteux.

Les arbustes : un taudis de luxe



Bien que construit en 1975, ce foyer de la rue des Arbustes à Paris, dans le 14ème, derrière une façade claire, cache des chambres et des locaux inconfortables, mal entretenus et totalement impropres à la vie collective.

Ce foyer de près de 300 lits, sur six étages dont trois sont habités par des Africains et trois par des Maghrébins, est essentiellement composé de chambres-boyaux de trois lits superposés, d’environ 20m² sans aucun équipement sanitaire.

Alors que, depuis 1983, les résidents ne cessaient d’attirer l’attention du Bureau d’Aide Sociale de la Ville de Paris sur l’état du foyer, celui-ci n’a pas hésité à signer une convention d’aide personnalisée au logement sans effectuer de travaux, et à appliquer à ce foyer le prix maximum prévu par les textes soit en 1985, 1 003 francs pour une chambre à trois lits, alors que l’ancienne redevance était de 468 francs (114 % d’augmentation, à laquelle s’ajoutait le paiement immédiat d’une caution de 1 003 francs).

Tous les experts judiciaires qui ont visité les foyers du B.A.S.V.P. ont souligné leur inadaptation à la vie collective, qui rend leur usage et leur entretien très difficile. C’est ainsi qu’au foyer des Arbustes, les douches prévues pour servir en moyenne 20 fois par jour n’ont ni bac à eau, ni aération, ni dallage imperméable, ce qui entretient une humidité permanente.

Le système d’évacuation des ordures est trop exigu donc totalement inadapté à des. cuisines collectives. Les cuisinières à gaz et les réfrigérateurs sont régulièrement en panne, obligeant les résidents à utiliser de petits réchauds et à laisser la nourriture dans leur chambre.

Du fait des infiltrations de la terrasse et de la façade, et de l’humidité permanente due au manque d’aération des sanitaires, la peinture est totalement écaillée. L’installation électrique est tellement défectueuse, que les résidents se retrouvent sans électricité presque tous les soirs.

Malgré des tentatives de négociations et de nombreuses procédures, le B.A.S.V.P. maintient sa position : le 9 juillet 1987, son Conseil d’Administration a même la fixé la redevance individuelle, à 1 600 francs pour les chambres à un lit et à 1 100 francs pour les chambres à trois lits, soit une redevance plus élevée que dans la majorité des foyers du B.A.S.V.P. alors qu’il, s’agit du plus dégradé.

Dans ces conditions, il est compréhensible que les résidents poursuivent leur mouvement de grève des loyers pour obtenir un logement décent.

L’aide personnalisée au logement (A.P.L.)



L’aide personnalisée au logement (A.P.L.) a été instaurée par la loi du 3 janvier 1977 (art. L. 351-1 et suivants du Codé de la Construction et de l’habitation). Selon cette loi, l’APL est accordée au titre de la résidence principale et concerne les logements occupés par leurs propriétaires ou à usage locatif, pourvu qu’ils soient construits ou améliorés à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, au moyen d’aides de l’État ou par voie de prêts ou primes prévus à cet usage.

Le décret d’application de cette loi (du 9 avril 1979) fixe les conditions d’octroi de ces aides ainsi que les règles qui régissent les conventions prévues pour la mise en œuvre de l’APL, que tout bailleur est tenu de respecter. Ce même décret étend le système APL aux logements-foyers en tant qu’ils sont définis par la loi (art. R. 351-55 du C.C.H) comme étant des établissements à caractère social qui assurent, le logement dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs et des locaux communs meublés ainsi que, le cas échéant, diverses prestations annexes telles que blanchisserie, service de soins ou services socio-éducatifs, moyennant une redevance.

Le montant de l’APL est calculé en fonction d’un barème défini par voie réglementaire (révisé tous les ans), qui tient compte de la situation familiale du demandeur, de, ses ressources annuelles et du montant. de son loyer, de sa redevance ou des charges de remboursement de prêts.




Notes

[1Décret d’application de la loi du 3 janvier 1977 relative aux aides publiques à l’investissement pour la construction et l’amélioration des logements.

[2Ce titre d’occupation est constitué dans les logements foyers d’un contrat d’adhésion d’un mois renouvelable comportant, pour ce type de local, non un loyer, mais une redevance répartie entre un équivalent loyer, des charges locatives et des prestations annexes (blanchisserie, services socio-éducatifs, etc.). (Art. R.351-55 du Code la Construction et de l’Habitation).


Article extrait du n°2

→ Commander la publication papier
S'abonner

[retour en haut de page]

Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 15:07
URL de cette page : www.gisti.org/article3339