Article extrait du Plein droit n° 2, février 1988
« Logement : pourquoi des ghettos ? »

Habitat ancien : les mécanismes d’exclusion

Comment un dispositif législatif qui visait à améliorer, en même temps que l’habitat ancien, le sort des occupants, a-t-il finalement abouti à renforcer les phénomènes d’exclusion et de ségrégation ?

Les promoteurs de la loi de 1977 relative à l’aménagement des centres et des quartiers urbains existants, ne doutaient pas du caractère éminemment social de ses dispositions, insistant sur ses aspects économiques – conventionnement et barèmes A.P.L. Mais ces diverses tentatives pour contrecarrer dans les textes les mécanismes d’exclusion sociale n’ont que rarement réussi à infléchir le jeu des acteurs sur le terrain où, en outre, l’exclusion ethnique se développe, pour différentes raisons. A ces différentes types d’exclusion s’ajoute enfin une exclusion juridique, tenant à l’absence de droit de relogement des habitants.

Dans les premières années, les OPAH (Opérations programmées d’amélioration de l’Habitat) n’ont pratiquement pas eu d’effet d’exclusion du fait de l’augmentation conséquente de l’effort-logement. Seules les personnes à très faibles ressources et les travailleurs immigrés isolés, qui ne pouvaient consacrer que très peu de moyens pour leur logement, ne trouvaient pas leur compte dans la réhabilitation – et encore inadéquation venait-elle plus du niveau élevé des charges du logement que de celui du loyer lui-même, généralement bien couvert par l’A.P.L.

Les opérations publiques n’ayant pas encore produit pleinement leur effet d’entraînement, la réhabilitation privée non aidée restait faible. Cependant, au fur et à mesure que celle-ci se développait, le nombre des locataires chassés de leur logement s’est rapidement accru à cause soit d’augmentations de loyer non couvertes par l’A.P.L. (réhabilitation privée non aidée), soit plus fréquemment par la mise en copropriété, soit encore par des pratiques illégales bafouant les droits des locataires.

Exclusion économique

Dorénavant, avec la suppression du conventionnement obligatoire (qui, dans les grandes villes, ne concernait qu’un tout petit nombre de logements, quelques centaines sur des quartiers de plusieurs milliers) et la perte progressive de pouvoir d’achat de l’A.P.L. annoncée pour les prochaines années, les augmentations de loyer consécutives à la réhabilitation seront beaucoup plus difficiles à supporter qu’auparavant pour la population modeste. C’est la disparition de la fonction sociale remplie jusqu’ici par toute une partie du parc de logements privés, qui n’est pas remplacée.

Il faut ici noter la situation des petits propriétaires, bailleurs ou occupants, dont les faibles ressources ne permettent pas de faire face aux dépenses occasionnées par une réhabilitation, malgré les aides publiques. La situation est particulièrement dramatique dans le cas où un propriétaire occupant est obligé de vendre. L’indemnité qu’il perçoit est souvent sans commune mesure avec le prix d’un logement sur le marché.

Exclusion juridique

Les habitants sans droit de relogement sont relativement nombreux dans les quartiers anciens. Il s’agit principalement des occupants de meublés ou garnis, mais aussi des sous-locataires irréguliers, des occupants sans droit ni titre (squatters), des titulaires de conventions d’occupation précaire, passées par des aménageurs avec des habitants sans droit, etc. Il peut aussi s’agir de très anciens occupants (50-60 ans) dont on a perdu toute trace de titre d’occupation. On ne peut non plus passer sous silence la pratique systématique de certains promoteurs privés qui terrorisent les locataires jusqu’à obtenir leur départ, parfois monnayé (20 000 F est une somme courante à Lyon), au mépris de leurs plus simples droits.

Dans tous les cas, le devenir des personnes concernées dépend du bon vouloir et de la marge de manœuvre des responsables politiques ou techniciens de l’opération. Sans entrer dans le détail de situations variées et complexes, il était utile de signaler qu’ici aussi, les dispositifs de protection des citoyens comportent des lacunes génératrices de mécanismes d’exclusion et de reproduction de la ségrégation spatiale au détriment de catégories économiquement faibles, dont de nombreuses familles d’immigrés.

Il y a cependant lieu de relever le cas particulier des occupants d’immeubles soumis à la loi du 1" septembre 48 qui bénéficient encore d’une bonne protection.

Certes, le locataire ne peut pas refuser que le logement qu’il occupe soit l’objet de travaux d’amélioration. Mais le propriétaire doit l’avertir de son intention de faire des travaux dans des formes très précises, avec un préavis de 3 mois. Si les travaux rendent le logement inhabitable, le propriétaire est tenu de proposer au locataire un logement correspondant à ses besoins et possibilités. Le locataire a ensuite droit prioritaire à réintégration.

En cas de vente du logement, le locataire a droit de préemption. S’il n’en fait pas usage, son bail n’est pas rompu. Le nouveau propriétaire ne peut en demander la libération que s’il veut l’occuper lui-même (ou des membres de sa famille proche). Pendant les quatres premières années, cette reprise pour habiter n’est possible que si le propriétaire propose un relogement.

Exclusion sociale

Il s’agit principalement ici de l’inadaptation des logements à la situation des ménages. En effet, dans les quartiers anciens, les petits logements prédominent largement : les familles nombreuses, réduites à la sur-occupation avant travaux, ne trouvent plus leur place après réhabilitation.

On pourrait penser résoudre la difficulté en constituant de grands logements à partir de plusieurs petits. Si de telles actions ont bien été menées, elles ne sont pas favorisées par le système des aides financières qui, en mettant l’accent sur les éléments de confort, privilégient la réhabilitation de petits logements.

Diverses incitations financières ou exhortations gouvernementales, n’ont véritablement rencontré d’écho que là où les acteurs locaux étaient soucieux, ou contraints par les circonstances, de s’en saisir.

Outre la taille des logements, leur niveau de confort, la nature des équipements et le matériau dont ils sont composés prennent parfois de court des personnes qui n’y sont pas habituées : chauffage à gaz ou à l’électricité, dont le maniement est inconnu, et dont on paie la facture après avoir consommé, à l’inverse des combustibles traditionnels ; moquettes fragiles ; baignoires inutilisables par certaines personnes âgées ; coins cuisines non séparés des salles de séjour, déroutant certaines familles musulmanes habituées à une nette séparation d’un « coin des hommes » et d’un « coin des femmes », etc.. Nous ne nous attarderons pas ici sur les erreurs de conception ou les économies de bouts de chandelles réalisées au détriment des prestations techniques.

Exclusion Ethnique

Elle est partout présente dans la réhabilitation, privée bien sûr mais aussi publique. Le réflexe est souvent le même : la revalorisation induite par la réhabilitation ne saurait s’accompagner du maintien en place des immigrés et ce à deux niveaux.

Sur le plan de la valeur économique cru logement, l’immigré accusé a priori de dégrader son logement plus que les Français est considéré comme devant diminuer sa valeur marchande.

Mais en outre, la présence d’immigrés dans un immeuble est fréquemment considérée comme lui conférant une image dévalorisée : bien souvent tout le monde, du locataire à l’élu local, en passant par le propriétaire public ou privé, voit une incompatibilité entre la réhabilitation et le maintien en place ou le relogement d’immigrés.

Certains locataires, qui voient leur propre image revalorisée, n’acceptent plus le voisinage qu’ils supportaient dans un immeuble dégradé. L’élu local est forcément sensible aux plaintes ou aux souhaits émis par ses électeurs – même si une part importante d’entre eux, habituée à une cohabitation sans histoires, ne trouve rien à redire si elle se perpétue dans un quartier recodifié. Les propriétaires enfin, qui tiennent à la fois à la valeur patrimoniale de leurs immeubles et à leur image, dont leurs biens sont en partie le reflet, sont ainsi souvent enclins à des réactions xénophobes, d’autant plus qu’ils sont également soumis aux pressions des locataires et, parfois, des élus.

Suppression des contrôles de loyers, dispositions plus favorables aux investisseurs qu’aux petits propriétaires, diminution du pouvoir d’achat de l’APL, limitation de la protection des locataires, toutes ces évolutions issues de la nouvelle politique déstabilisent plus d’un locataire « moyen ». Mais combien de ménages en situation plus difficile, combien d’immigrés ou de réfugiés appartenants à des ethnies plus fortement rejetées ces évolutions repousseront-elles vers la précarité dans le logement, facteur principal de marginalisation sociale ? Les plans contre la précarité et la pauvreté n’apparaîtront alors plus que comme alibi d’un État incapable d’assurer la solidarité envers les plus démunis, de résorber les situations d’exclusion qu’il contribue largement à créer.

Paris brûle-t-il ?



Entre le 2 septembre et le 5 décembre 1986, quatre incendies ont provoqué la mort de 19 personnes dans le 20° arrondissement à Paris [1]. Trois de ces incendies ont une origine criminelle avérée (on a repéré à chaque reprise deux foyers différents et retrouvé des chiffons imbibés d’essence…). On a parlé d’attentats racistes, de spéculation immobilière… Une enquête est en cours. Aboutira-t-elle ?

Quatre immeubles incendiés en pleine nuit. Bilan :

  • 19 morts dont 8 enfants.



  • 30 blessés graves.



  • 99 familles à reloger d’urgence dont 57 familles étrangères.



Le comité de soutien aux familles sinistrées qui se constitua spontanément pour dénoncer ces incendies criminels dut harceler la Ville de Paris pour obtenir le relogement des familles dispersées dans des hôtels ou chez des. amis.

Le 7 mars (six mois après le premier incendie et trois mois après le dernier…), le comité de soutien monte une grande tente sur le boulevard de Ménilmontant où durant 2 semaines sera physiquement concrètement posée la question du relogement. des familles.

Enfin, le 19 mars, une réunion avec le Maire de Paris aboutira à des propositions, en contrepartie du démontage de la tente I Des organismes caritatifs (Secours Catholique, Secours Populaire) ont dû se porter garants pour quelques familles aux faibles ressources.

Décembre 1987. Où en sont les choses après un an ?

  • une famille n’est toujours pas relogée



  • l’enquête criminelle suit lentement son cours….



  • l’indemnisation des dommages corporels a commencé mais, attention, pas pour tous : un étudiant étranger titulaire d’une carte de séjour d’un an s’est vu répondre qu’il n’a pas droit à une indemnisation de l’État, seule une carte de résident de 10 ans donnant droit à prétendre à une indemnisation…



Étrangers non titulaires d’une carte, de 10 _ ans, tenez-vous à l’écart des immeubles en flammes !

Enfin, 3 assistantes sociales qui avaient signé une pétition en faveur du relogement rapide des familles ont été sanctionnées par la mairie de Paris (les sanctions ont été toutefois levées à la fin du mois de décembre 1987, compte tenu des vigoureuses protestations qu’elles avaient provoquées)

Travailleurs sociaux, ne vous mêlez pas des problèmes des sans-abris !




Notes

[12 septembre 1986 : 26, av. Gambetta : 7 morts dont 2 enfants.
3 octobre : Place de la Réunion : 1 mort.
27 novembre : Rue de Tlemcen : 9 morts dont 5 enfants.
5 décembre : 9, rue Robineau : 2 morts dont 1 enfant.
Plus de 30 personnes sont brûlées ou gravement blessées.


Article extrait du n°2

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Dernier ajout : mercredi 2 avril 2014, 15:37
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