Article extrait du Plein droit n° 64, avril 2005
« Étrangers devant l’école »
Le dispositif d’accueil pour les primo-migrants
Jean-François Martini
Juriste, permanent au Gisti.
C’est par une circulaire du 24 avril 2002 [1] que l’éducation nationale a organisé le dispositif spécifique mis en place pour les « élèves nouvellement arrivés ». Ce dispositif comprend deux types de structures : les classes d’initiation (CLIN) pour les élèves du premier degré, et les classes d’accueil (CLA) pour ceux du second degré. Elle ne fixe qu’un cadre général, chaque académie ayant un mode d’organisation propre. On peut relever à ce propos que, depuis 1970, date de la création des premières classes d’accueil, le dispositif mis en place pour les primo-arrivants s’est construit uniquement par voie de circulaires. Aucun texte réglementaire et encore moins législatif n’est venu traiter de cette question.
La circulaire d’avril 2002 prévoit donc que tout élève nouvellement arrivé en France doit pouvoir bénéficier d’une évaluation de sa connaissance de la langue française et de son niveau de scolarisation dans sa langue d’origine. Doivent aussi être pris en compte ses expériences et ses intérêts dans d’autres domaines. Dans le premier degré, l’évaluation se fait directement dans le cadre de la classe d’initiation. Dans le second degré, ce sont les « centres de formation et d’informations » qui en sont chargés, l’évaluation étant ensuite transmise aux enseignants chargés d’accueillir ces jeunes. L’affectation doit tenir compte de cette évaluation mais aussi des possibilités d’accueil adaptées, à une distance raisonnable du domicile.
Dans le premier degré, les élèves nouvellement arrivés sont inscrits dans les classes ordinaires de l’école maternelle ou élémentaire. Les élèves du CP au CM2 sont regroupés dans des classes d’initiation pour l’enseignement du français en fonction de leurs besoins, l’objectif étant de leur permettre d’intégrer au plus vite l’ensemble du cursus ordinaire. Dans le second degré, il existe deux types de classes d’accueil en fonction des niveaux scolaires : les classes d’accueil ordinaire (CLA) et les classes d’accueil pour les élèves non scolarisés antérieurement (CLA-NSA). Ces dernières doivent permettre aux jeunes étrangers en âge d’être inscrits au collège d’apprendre le français et d’acquérir les connaissances de base correspondant au cycle III de l’école élémentaire (programme allant du CE2 au CM2). Dans les matières où la maîtrise du français écrit n’est pas fondamentale (éducation physique, musique, arts plastiques, etc.), ces élèves sont intégrés dans les cours des classes ordinaires. Les CLA reçoivent les jeunes scolarisés antérieurement et dispensent un enseignement adapté à leur niveau. Les jeunes doivent bénéficier d’une part importante de l’enseignement proposé en classe ordinaire (langue vivante, mathématique, etc.). Ils sont inscrits dans les classes ordinaires correspondant à leur niveau dans la limite d’un écart de deux ans avec l’âge de référence.
Afin d’éviter un effet ghetto, la circulaire recommande de ne pas implanter plusieurs classes d’accueil dans un même établissement ni de les créer systématiquement dans les établissements situés en zones d’éducation prioritaire. Les élèves accueillis dans les classes d’initiation et les classes d’accueil peuvent intégrer le cursus ordinaire quand ils ont acquis à l’oral et à l’écrit une maîtrise suffisante du français. Toutefois un soutien peut continuer à leur être dispensé pour parfaire leur acquisition de la langue.
La circulaire insiste aussi sur la nécessité de « faciliter la connaissance, pour ces élèves et leur famille, des règles de fonctionnement de l’établissement scolaire dans lequel ils sont affectés ». Les établissements sont ainsi invités à fournir une présentation en langue d’origine avec traduction française de leurs locaux et de leur fonctionnement, ainsi que les documents vidéos de l’office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP). Une convention-cadre du 7 mars 2001 co-signée par le ministère de l’éducation nationale, le ministère de l’emploi et de la solidarité et le Fonds d’action sociale (FAS devenu FASILD depuis) prévoit aussi que les services de l’éducation nationale informent les familles (entrées par regroupement familial, familles de réfugiés, membres de familles étrangers de Français, etc.) lors de séances collectives de pré-accueil.
Le dispositif d’accueil des élèves nouvellement arrivés com-nationale sur « les modalités de scolarisation des élèves non-francophones nouvellement arrivés en France », réalisé en mai 2002, a mis en évidence l’augmentation continue du nombre d’élèves bénéficiant de ce dispositif [2]. Dans certaines villes de l’académie de Montpellier, par exemple, leur nombre peut atteindre les 5/6ème des élèves. Les auteurs du rapport attribuent aux enfants entrés hors regroupement familial l’essentiel de l’augmentation du nombre d’élèves nouvellement prend aussi des centres spécialisés. Les CASNAV, centres pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage, ont remplacé les CEFISEM, centres de formation et d’information pour la scolarisation de migrants, créés en 1975. C’est une seconde circulaire du 25 avril 2002 qui, outre le changement de nom, a procédé à un recentrage de leur action sur l’accompagnement des élèves nouvellement arrivés, mettant ainsi fin à une confusion des genres puisque les CEFISEM avaient beaucoup été mis à contribution pour la mise en place d’actions pédagogiques dans les ZEP, la prévention des violences, etc. Les CASNAV sont à la fois des centres de ressources pour les écoles et les établissements (élaboration de réponses pédagogiques adaptées, conseils et aide pédagogique…), des pôles d’expertise pour les responsables du système éducatif et des instances de coopération et de médiation pour les partenaires du système éducatif.
En mai 2003, on comptabilisait 1137 classes d’intégration et 762 classes d’accueil pour quelque 35 000 élèves. Un rapport de l’inspection générale de l’éducation arrivés. Ils parlent alors à plusieurs reprises d’« enfants en situation irrégulière », ce qui démontre une profonde méconnaissance du statut juridique des mineurs étrangers en France, ceux-ci ne pouvant en aucun cas être en situation irrégulière [3]. Cette erreur, malheureusement très courante, peut s’avérer très préjudiciable à ces jeunes quand elle est commise par les personnels de l’éducation nationale. En effet, outre qu’elle accroît inutilement le sentiment d’insécurité chez les jeunes concernés, elle tend à installer un climat de résignation qui peut conduire à écarter tout projet éducatif à long terme du fait de la précarité de leur situation administrative.
C’est pourtant oublier d’une part que certains jeunes bien qu’entrés en dehors de la procédure de regroupement familial auront droit à un titre de séjour à leur majorité. Ce sera le cas s’ils sont arrivés en France avant l’âge de treize ans ou si leurs principales attaches privées et familiales se trouvent sur le territoire français. C’est oublier également que, ainsi que le démontre l’action du Réseau éducation sans frontière, la mobilisation de la communauté scolaire peut constituer un puissant levier pour obtenir de l’administration la régularisation des jeunes qui ne remplissent aucune des conditions de délivrance d’un titre de séjour [4].
La situation irrégulière injustement incriminée
Le rapport insiste donc sur le respect de la procédure de regroupement familial qui, seule, garantirait l’inscription des enfants dans un établissement scolaire, cette « certitude » d’inscription étant impossible à obtenir pour les autres entrants. Les institutions (établissements, communes ou inspections académiques) respecteraient le droit à l’instruction pour tous les enfants en âge scolaire, mais c’est « la situation irrégulière sur le territoire » (sic) de certains d’entre eux qui « détournerait certaines familles d’une demande de scolarisation ».
Considérant, à juste titre, que « les conditions informelles locales d’accueil sont déterminantes » pour la scolarisation de ces enfants, les auteurs constatent « que certaines familles en situation irrégulière qui n’avaient pas scolarisé leurs enfants par crainte des conséquences d’une telle démarche de “sortie de clandestinité” avaient demandé une inscription scolaire après avoir déménagé dans une autre région où leurs préventions étaient tombées ». Et ils en concluent que les défauts de scolarisation seraient essentiellement imputables aux craintes des familles, craintes plus ou moins importantes selon les « conditions informelles locales d’accueil ».
Il ressort pourtant d’autres études [5] que la déscolarisation d’enfants étrangers a, la plupart du temps, une cause institutionnelle, et que les craintes ou les réticences des familles sont un facteur négligeable. Par ailleurs, si les refus de scolarisation restent rares (sauf en Guyane [6]), les pratiques de certaines mairies peuvent avoir un effet dissuasif. C’est notamment le cas lorsque le droit à la scolarisation est refusé à des enfants sous prétexte que leurs parents – étrangers en situation irrégulière – résident de façon précaire dans la commune. Dissuasives aussi les incursions de plus en plus fréquentes des policiers dans les établissements scolaires [7].
La circulaire du 25 avril 2002 précise que le délai entre la date d’inscription d’un élève auprès des services de l’éducation nationale et son affectation effective dans un établissement ne devrait pas excéder un mois. Cette exigence fait directement écho au rapport de l’inspection générale de l’éducation nationale qui relevait des retards parfois très importants dans la scolarisation de ces jeunes. Ainsi, en Seine-Saint-Denis, en novembre 2001, 200 élèves étaient sur liste d’attente. A la même date, dans l’académie de Paris, quelque 300 élèves arrivés avant le 30 mars 2001 ont du attendre la rentrée suivante pour être scolarisés. Après la rentrée 2001, ils étaient encore 149 à attendre une place un mois après leur inscription.
Lorsqu’ils abordent la question des jeunes de seize à dix-huit ans, les auteurs du rapport n’évoquent que la situation de ceux qu’ils persistent à considérer comme « irréguliers » pour préciser qu’ils posent à l’éducation nationale « un problème particulier ». Ils estiment que ces jeunes « ne relèvent plus de l’obligation scolaire et [que] par suite l’institution n’est pas en devoir de les prendre en charge ». Même s’ils reconnaissent que les inspections académiques ne se désintéressent pas totalement de l’orientation et de l’insertion professionnelle de ces jeunes et que certaines d’entre elles mènent des expériences innovantes et positives, leur conclusion est quelque peu défaitiste.
Dans la circulaire du 25 avril 2002, en revanche, la question des nouveaux arrivants âgés de plus de seize ans est étudiée. Ne relevant plus de l’obligation scolaire, ces jeunes peuvent néanmoins être accueillis dans le cadre de la mission générale d’insertion de l’éducation nationale (MGIEN) qui travaille à la qualification et à la préparation à l’insertion professionnelle et sociale des élèves de plus de seize ans. Ils peuvent alors s’inscrire dans des cycles d’insertion pré-professionnels spécialisés en « français langue étrangère » et en alphabétisation. L’insertion dans ces filières suppose cependant l’obtention d’une autorisation de travail, ce qui constitue un obstacle majeur pour les jeunes entrés en dehors des procédures légales et qui ne sont pas assurés d’obtenir un titre de séjour à dix-huit ans [8].
C’est sûrement dans ce domaine que le dispositif d’accueil des élèves nouvellement arrivés est le plus perfectible. De trop nombreux jeunes étrangers arrivant après leur seizième anniversaire sont encore exclus du système éducatif. ;
Notes
[1] Circulaire du 25 avril 2002 relative à l’« Organisation de la scolarité des élèves nouvellement arrivés en France sans maîtrise suffisante de la langue française ou des apprentissages ». En ligne sur le site de l’éducation nationale : http://www.education.gouv.fr/bo/2002/ special10/default.htm
[2] Ce rapport est disponible sur le site de l’éducation nationale : ftp://trf.education.gouv.fr/pub/edutel/syst/igen/ rapports/scolarisation.pdf
[3] Voir dans ce numéro, encadré p. 6.
[4] Voir article p. 26.
[5] Voir article p. 10.
[6] Voir article p. 20.
[7] Voir article p. 23.
[8] Sur les possibilités d’obtenir une autorisation de travail entre seize et dix-huit ans, voir l’article p. 14.
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