Article extrait du Plein droit n° 28, septembre 1995
« Les nouvelles batailles de Poitiers »

Vers un meilleur traitement des migrants dans Maastricht ?

Claire Rodier

Permanente au Gisti
Dès son adoption en 1991, il était prévu que le traité de Maastricht ferait l’objet d’une révision cinq ans plus tard. À quelques mois de la tenue de la conférence intergouvernementale (CIG) de 1996, à l’issue de laquelle un certain nombre d’amendements devraient être pris pour améliorer son fonctionnement, quelles sont les perspectives de voir le traité d’Union européenne mieux prendre en compte les droits des ressortissants des pays tiers installés en Europe ?

À l’exception de la détermination d’une liste commune de pays dont les ressortissants doivent être munis de visas pour accéder au territoire des États de l’Union européenne, qui relève de la compétence du Conseil (art. 100 C du Titre II du Traité d’UE), il n’existe actuellement aucune « communautarisation » des questions relatives à l’immigration en provenance des pays tiers dans le traité d’Union. Ces questions, qui font partie du « troisième pilier » du traité (coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures), restent du domaine de la souveraineté nationale des États, qui sont maîtres de leur politique d’immigration. Tout au plus est-il prévu que la Commission européenne et le Parlement européen sont consultés sur ces questions, sans que ces institutions disposent d’un pouvoir contraignant à l’égard des États.

C’est donc au travers de la coopération intergouvernementale, et par conséquent en dehors du cadre juridique communautaire, qu’ont été adoptées, ces dernières années, plusieurs résolutions (en matière d’asile, de regroupement familial, d’accès au travail des ressortissants non communautaires) qui ont, de fait, une influence directe sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers des pays tiers dans les pays de l’Union : ceux-ci sont en effet censés aligner leur législation interne sur les principes qu’instaurent ces résolutions, dont l’esprit général est bien éloigné des principes du droit communautaire.

Plusieurs propositions d’amendements, émanant de groupes divers, visent à améliorer la situation des migrants communautaires qui résident dans les États de l’Union européenne.

Une prise de position ouverte contre la discrimination et le racisme

Le groupe « Ligne de départ » [1], composé de nombreuses organisations européennes, diffuse, depuis le début de l’année 1995, une proposition d’amendement intitulée « Point de départ », qui repose sur un constat simple : le traité de Maastricht ne fait nulle part référence, parmi les objectifs de la Communauté européenne, à la lutte contre la discrimination.

En principe, l’intégration d’un tel objectif ne devrait pas soulever d’obstacles, puisque les États sont unanimes pour s’élever contre les manifestations de racisme et de xénophobie qui surgissent régulièrement depuis quelques années, et qu’ils ont presque tous ratifié les conventions internationales qui traitent de ce sujet (Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Convention concernant l’abolition de toutes les formes de discrimination raciale…).

L’intérêt d’un amendement en ce sens, au-delà des aspects symboliques, serait de donner à l’Union européenne les pouvoirs conférés par les institutions communautaires de combattre plus efficacement la discrimination. Il faut y voir aussi l’espoir de mettre un frein aux tentations de « discriminations institutionnelles » auxquelles les États de l’Union, enfermés dans une vision sécuritaire de l’immigration, ont tendance parfois à succomber.

S’appuyant sur les préoccupations de la Commission européenne, favorable à l’insertion dans le traité d’Union d’une référence explicite à la lutte contre la discrimination, sur les déclarations et résolutions du conseil des ministres contre le racisme et la xénophobie, et sur le soutien du Parlement européen, le groupe « Ligne de départ » propose d’une part que l’abolition de toute discrimination soit inscrite parmi les activités définies par l’Union européenne au sein du « premier pilier » du traité d’Union (c’est-à-dire les activités relevant du cadre communautaire), et d’autre part qu’il soit prévu que le Conseil puisse arrêter par voie de directives ou de règlements les mesures nécessaires à l’abolition de toute discrimination.

Amélioration de la transparence des institutions européennes, et promotion de l’égalité de traitement entre communautaires et non communautaires.

La Commission permanente d’experts en matière de droit international, pénal, des étrangers et des réfugiés [2] soumet aux États membres une série de propositions d’amendements visant à renforcer le fonctionnement démocratique de l’Union par une meilleure transparence du processus d’élaboration du droit de l’Union, l’accès du public aux informations, le renforcement du contrôle juridictionnel de la Cour de justice des Communautés dans les domaines relevant du troisième pilier du traité d’Union, une participation plus étroite des parlements nationaux au processus décisionnel des États dans ces domaines.

Elle propose également des amendements concernant la lutte contre les discriminations raciales, et la promotion de l’égalité de traitement des migrants dans l’Union européenne, qui s’articule autour de quatre principes : les deux premiers reprennent les propositions d’amendement du groupe « Ligne de départ » (référence à la lutte contre la discrimination dans le premier pilier du traité, et attribution de prérogatives au Conseil dans ce domaine).

Les deux autres visent à attribuer aux étrangers non communautaires installés dans un des États de l’Union des prérogatives, en matière de citoyenneté et de libre circulation, qui rapprochent leur statut de celui des ressortissants communautaires :

> Citoyenneté européenne pour les immigrés non communautaires

Le troisième principe défendu par la Commission permanente d’experts est l’extension du concept de « citoyenneté européenne » aux personnes « qui résident régulièrement sur le territoire d’un État membre depuis cinq ans » au lieu de le réserver aux seuls nationaux des États membres.

En adoptant un tel amendement, l’Union donnerait plus de consistance aux diverses mesures européennes contre le racisme, la xénophobie et la discrimination raciale, ce qui faciliterait l’intégration des étrangers non européens ; par ailleurs, ce principe d’égalité entre ressortissants communautaires et résidents non communautaires de longue date contraindrait le Conseil à adopter des directives facilitant la libre circulation de ces personnes, qui est à l’heure actuelle toujours limitée aux nationaux des États membres.

> Extension du principe communautaire de libre circulation aux résidents non communautaires

Enfin, et dans la même logique, la Commission d’experts milite pour un amendement chargeant le Conseil de déterminer les conditions de mise en œuvre de la libre circulation dans l’Union européenne pour les ressortissants d’États tiers en situation régulière sur le territoire d’un État membre.

Il s’agit, indépendamment de l’extension de la notion de citoyenneté visée ci-dessus, de permettre aux ressortissants d’États tiers, dès lors qu’ils justifient de critères d’installation stable dans les États de l’Union, de jouir du principe de libre circulation qui est un des principes fondateurs du traité de Rome. Son argument repose sur un constat : il est impossible de développer pleinement la libre circulation des personnes dans l’Union tant qu’une partie de la population est exclue de ce droit.

Information du public et élargissement des compétences de la Cour européenne de justice et du Parlement européen

Le Forum des Migrants de l’Union européenne [3] milite également pour qu’au cours de la Conférence intergouvernementale soient adoptés des amendements au traité d’Union visant à y insérer le principe de la lutte contre la discrimination, et à étendre la citoyenneté de l’Union aux migrants installés en Europe.

Il ajoute deux propositions, l’une relative à l’inscription dans le Traité d’un droit d’accès à l’information permettant aux citoyens communautaires d’évaluer l’évolution de l’Union, l’autre concernant l’extension des pouvoirs de la CJCE et du Parlement.

> Compétence de la Cour de justice pour les domaines du « troisième pilier »

Actuellement, la CJCE n’est compétente que pour traiter des domaines relevant de la stricte application du droit communautaire, auxquels échappent les thèmes de la justice et des affaires intérieures, sous lesquels sont recensées, dans le « troisième pilier », les politiques à l’égard des ressortissants des pays tiers. Un élargissement de sa compétence aux domaines du « troisième pilier » permettrait notamment qu’un contrôle soit exercé sur la conformité des conventions et résolutions relatives aux migrants et aux réfugiés, adoptées jusqu’ici dans le seul cadre intergouvernemental.

> Accroissement du contrôle parlementaire

Articulé avec l’octroi de la citoyenneté européenne aux ressortissants non communautaires (qui, de ce fait, deviendraient électeurs aux scrutins européens), l’accroissement des pouvoirs du Parlement européen pour les questions traitées au « troisième pilier » du traité d’Union (pour lesquelles il ne dispose à l’heure actuelle que d’un rôle consultatif) améliorerait de façon notable la situation des migrants, puisque son accord serait requis pour le vote de toute législation communautaire ou tout acte quasi législatif les concernant.

Intégration des politiques familiales parmi les activités définies par l’Union européenne

La COFACE [4] (Confédération des organisations familiales de la Communauté européenne) propose, quant à elle, d’intégrer explicitement une dimension familiale aux politiques économique et sociale de l’Union européenne, dimension qui est à l’heure actuelle inexistante dans le traité d’Union, en ajoutant à la liste des activités définies par l’UE (au sein du « premier pilier ») le thème de la contribution aux politiques familiales. Combinée avec un projet d’amendement relayé par la plupart des groupes préoccupés par le sort des ressortissants non communautaires, c’est-à-dire l’affirmation du principe de non-discrimination, cette proposition permettrait, au nom de l’égalité de traitement, d’améliorer les législations des États membres en matière de droit de vivre en famille des immigrés.

Dans la perspective des incidences possibles de la Conférence intergouvernementale de 1996 sur la situation des migrants non communautaires en Europe, on lira enfin avec intérêt le rapport d’évaluation du fonctionnement du traité sur l’Union européenne dressé par la Commission européenne au mois de mai 1995 [5]. Car on y retrouve, comme un écho aux préoccupations des groupes qui ont formulé les propositions d’amendements qui viennent d’être présentées, de nombreux thèmes abordés par eux. La Commission y plaide pour un accroissement de la transparence du processus décisionnel et un meilleur accès à l’information du public. En ce qui concerne les domaines de la justice et des affaires intérieures, elle déplore la faiblesse des instruments juridiques – pas de contrôle de l’exécution, ni d’interprétation des actions entreprises – et en particulier les blocages liés à l’absence de compétence de la Cour de justice pour toutes les questions qui relèvent du « troisième pilier ». Elle se pose enfin des questions sur « l’obscure clarté » de la répartition entre les domaines relevant du champ communautaire et ceux relevant du « troisième pilier », dont une des conséquences, à son avis, est le retard pris par l’Union pour la réalisation d’un de ses objectifs principaux, la libre circulation des personnes.




Notes

[1Groupe « Ligne de départ », 174, rue Joseph II, 1040, Bruxelles. Tél. 32 (2) 230 20 11 ; Fax 32 (2) 231 14 13.

[2Commission permanente d’experts en matière de droit international, pénal, des étrangers et des réfugiés, Propositions de révision du traité sur l’Union européenne à la CIG de 1996 (disponible en anglais et en français). Postbus 638, 3500 AP Utrecht/Nederland. Tél. 31 (30) 96 39 00 ; Fax 31 (30) 94 44 10.

[3Forum des Migrants de l’Union européenne, rue de Trèves, 33, 1040, Bruxelles. Tél. 32 (2) 230 14 14 ; Fax 32 (2) 230 14 61.

[4COFACE, rue de Londres, 17, 1050, Bruxelles. Tél. (02) 511 41 79 ; Fax (02) 514 47 73.

[5Conférence intergouvernementale 1996. Rapport de la Commission pour le groupe de réflexion. Commission européenne, unité « publications », rue de la Loi 200, 1049 Bruxelles. À lire également : La conférence intergouvernementale de 1996 et l’avenir du troisième pilier, Simon Hix, Document de travail n° 20 de la Commission des Églises auprès des migrants en Europe (174, rue Joseph II, B-1040 Bruxelles. Tél. 32 (2) 2308512. Fax. 32 (2) 2311413.


Article extrait du n°28

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Dernier ajout : mercredi 2 juillet 2014, 16:46
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