Article extrait du Plein droit n° 28, septembre 1995
« Les nouvelles batailles de Poitiers »

Les maires de France réaffirment le principe d’égalité

L’ Association des maires de France, sollicitée sur l’application par les maires du principe d’égalité des citoyens devant le service public a préparé cette note d’explication juridique qui permet de rappeler les grands principes du droit en la matière et d’éclaircir cette problématique.

Le principe d’égalité est mentionné dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen repris dans le préambule de la Constitution de 1946. Y figurent notamment des dispositions concernant la protection de l’individu et de la famille et le droit à la sécurité sociale pour « tout être humain ». Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 3 septembre 1986 a reconnu l’application aux étrangers de ces dispositions du préambule, tout en admettant que l’on puisse faire prévaloir les nécessités de l’ordre public. Plusieurs articles de la Constitution de 1958 font également référence au principe d’égalité, notamment son article 2 qui pose l’égalité des citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion notamment.

Le Conseil d’État regarde ce principe d’égalité comme principe général du droit, ce qui permet de l’appliquer dans des domaines très variés qui vont au-delà des hypothèses visées par les textes constitutionnels : principe d’égalité devant la loi et les règlements, principe d’égalité devant les charges publiques (égalité devant l’impôt), égalité devant le service public (égal accès aux emplois publics, égalité de traitement des agents publics, égalité des citoyens devant le service public, égalité des usagers devant le service public), égalité des utilisateurs du domaine public, égalité des sexes…

Il s’agit d’un principe de non-discrimination qui, abstraction faite des cas où la loi elle-même implique qu’il y soit dérogé, ne peut être méconnu que dans deux hypothèses :

  • soit une différence de situation, en rapport avec l’objet poursuivi par la réglementation en cause, justifie une différence de traitement entre administrés,
  • soit des considérations d’intérêt général ou d’intérêt public, liées à l’objet même ou au fonctionnement du service public en cause, justifient une telle différence de traitement.

Différence de traitement ou discrimination ?

En définitive, six hypothèses peuvent être distinguées quant à l’application du principe :

1. Il y a rupture d’égalité résultant directement de la loi elle-même.

Dans son ensemble, le droit positif français ne comporte que peu de dispositions discriminatoires à l’égard des étrangers. En droit civil, ceux-ci jouissent de tous les droits sauf dispositions législatives expresses ; il en est très peu.

Les restrictions nettes se trouvent en matière de libertés publiques et de droits civiques (obligations de neutralité et de réserve dans l’expression des opinions politiques, accès aux fonctions publiques, électives notamment).

2. Il n’y a pas de différence de traitement, les mêmes règles s’appliquant à des personnes se trouvant dans des situations identiques.

3. Il y a discrimination illégale.

Par exemple en excluant du bénéfice de l’allocation de congé parental d’éducation (aide sociale facultative) les familles dont aucun parent ne possède la nationalité française (CE 30 juin 1989, Ville de Paris et BAS de Paris c/Levy).

De même lorsque l’octroi d’une allocation forfaitaire pour la naissance d’un troisième enfant, qui constitue une prestation familiale, est subordonné à la condition que les parents soient inscrits sur la liste électorale (TA Paris, 1er février 1989, Comm. Rép. Hauts-de-Seine c/CCAS de Levallois-Perret).

De même encore lorsqu’il y a différence de traitement entre les étrangers résidant en France et les candidats français pour le choix d’un établissement d’enseignement supérieur (CE, 26 juillet 1982, GISTI et autres).

L’accès à l’école publique ne peut être refusé aux enfants étrangers (TA Bordeaux, 1er juin 1988, El Rhazouani).

La note d’un maire relative à l’admission dans des séjours de sports d’hiver organisés par la commune méconnaît les dispositions de l’article 2 de la Constitution qui impliquent que l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion soit garantie devant les services publics, dès lors que cette note signale aux familles que les enfants soumis à un régime médical ou religieux ne peuvent être acceptés (TA Paris, 26 février 1989, MRAP).

Indiquons enfin que le Conseil d’État, par un arrêt du 26 juillet 1982 (GISTI) a considéré qu’en l’absence de dispositions particulières, le principe d’égalité est applicable sans que l’on puisse distinguer entre Français et étrangers résidant régulièrement en France.

Il a également reconnu le droit à tout individu, français ou étranger, de mener une existence familiale normale et indiqué que ce principe devait recevoir une application même si l’étranger qui en réclame le bénéfice est polygame (CE 11 juillet 1980, min. intérieur c/Mme Montcho).

4. Il y a différence de traitement, mais elle est justifiée par une différence de situation.

Par exemple, la différence opérée entre trois catégories d’aides financières aux vacances familiales, dont l’une concerne les familles étrangères se rendant dans leur pays d’origine, n’est pas contraire au principe d’égalité (CE, 16 décembre 1994, Comité du Gâtinais du MRAP, req. n° 87254).

5. Il y a différence de traitement mais elle est justifiée par des considérations d’intérêt général.

Par exemple, eu égard à l’objet du référendum du 6 novembre 1988 en Nouvelle-Calédonie, la participation à la campagne des principales familles politiques du territoire était susceptible d’éclairer le corps électoral sur la portée de son choix et de concourir utilement à l’expression du suffrage. Compte tenu de l’intérêt général qui s’attachait à cette participation, le décret du 5 octobre 1988 a pu, sans discrimination illégale, prévoir que les principales familles politiques participent à la campagne sans avoir à satisfaire aux conditions d’habilitation applicables aux autres organisations politiques (CE, 28 octobre 1988, Centre national des indépendants et paysans).

6. Il y a une différence de traitement, mais elle est temporairement inévitable compte tenu de l’impossibilité pratique d’assurer immédiatement une application uniforme de la réglementation.

Ainsi en a-t-il été à propos du port de la ceinture de sécurité.

Le nouveau code pénal (article 225-1) réprime sévèrement diverses discriminations dont celles fondées sur l’origine, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, à une nation, à une race ou à une religion déterminée.

Les peines sont de deux ans d’emprisonnement et 200 000 F d’amende en cas de refus discriminatoire d’embauche ou de fourniture d’un bien ou d’un service, par exemple ; de trois ans et 300 000 F d’amende pour un refus discriminatoire d’un droit accordé par la loi ou pour entrave discriminatoire à l’exercice normal d’une activité économique si l’auteur de la discrimination est une autorité publique (art. 432-7).

Ont été condamnés : un maire qui avait refusé l’inscription d’enfants étrangers dans les écoles de sa commune en considération de l’appartenance des enfants à une nation déterminée (trib. corr. Grenoble, 18 juillet 1991) ; le responsable d’un BAS qui, dans une note de service, invitait à éviter d’embaucher du personnel de couleur (CA. Paris, 11e chambre, 21 janvier 1988, Mme B.).

Mais il n’y aura pas discrimination pénalement sanctionnée lorsqu’il y a « permission de la loi », c’est-à-dire lorsque la loi elle-même prévoit cette discrimination.

Tel est le cas, par exemple, des article 5 et 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, qui réservent l’accès aux emplois de la fonction publique à des personnes remplissant certaines conditions. N’est pas une infraction le refus de recruter en qualité de fonctionnaire une personne qui n’a pas la nationalité française.

Signalons également que des discriminations fondées sur la nationalité sont prévues par le code du travail. Ainsi, l’article R. 341-4 précise, concernant la délivrance d’une autorisation de travail à un salarié étranger, que l’administration doit se référer à la situation de l’emploi dans la profession demandée par le travailleur étranger. Ceci pourrait permettre d’accorder une certaine préférence à la main-d’œuvre nationale.

Un maire peut-il refuser de célébrer un mariage mixte ?



Non.

Toutefois, en cas de doute sur la validité d’un mariage et notamment sur la réelle volonté matrimoniale, l’article 175-2 du code civil permet à l’officier d’état civil (le maire) de saisir le procureur de la République.

Si les éléments recueillis dans les dossiers des époux paraissent pertinents mais cependant insuffisants pour établir la réalité du consentement des intéressés au mariage, il appartient au procureur d’ordonner à l’officier d’état civil de surseoir à la cérémonie du mariage pendant un mois maximum, dans l’attente des résultats d’une enquête ou de mesures d’instructions complémentaires.

Le procureur peut également décider de faire opposition au mariage. Dans ce dernier cas, l’opposition du procureur interdit la célébration du mariage.

La décision de sursis à la célébration du mariage doit être notifiée à l’officier d’état civil et aux futurs époux. Ces derniers peuvent contester la décision de sursis devant le président du tribunal de grande instance qui statue dans les dix jours.

Un maire peut-il refuser d’inscrire un enfant immigré à la crèche ?



Non.

Selon le même principe d’égalité des usagers devant le service public, la décision de refus d’un maire d’inscrire un enfant immigré dans une crèche collective serait illégale.

Toutefois, s’agissant des tarifs applicables à l’accès d’une crèche collective, il convient de noter que le Conseil d’État a considéré que le barème pouvait être déterminé en retenant le critère tiré de la différenciation des ressources des familles, sans méconnaître le principe d’égalité entre les usagers du service public (CE 20 janvier 1989, CCAS de La Rochelle), compte tenu, d’une part, du mode de financement de ce service public administratif et, d’autre part, de l’intérêt général qui s’attache à l’utilisation de la crèche par les parents désirant y placer leurs enfants, sans distinction selon les possibilités financières dont dispose chaque foyer, dès lors que les tarifs les plus élevés n’excèdent pas le coût de fonctionnement.

La Haute juridiction a par ailleurs estimé que, pour fixer sur cette base le barème des tarifs applicables en retenant une évaluation des ressources fondée sur les revenus imposables tels qu’ils ressortaient des avis d’imposition, l’autorité compétente n’avait commis aucune erreur manifeste d’appréciation.

Un maire peut-il subventionner des entreprises qui pratiqueraient la « préférence nationale » dans le recrutement de leur personnel ?



Non.

Au regard de la jurisprudence en matière de subventions des collectivités locales aux associations, on peut penser qu’une telle subvention pourrait être regardée comme illégale car dépourvue de tout lien avec l’intérêt communal.

En effet, le juge apprécie généralement la légalité d’une telle subvention par rapport à son degré d’utilité communale.

À cet égard, le Conseil d’État estime qu’une commune ne peut pas subventionner une association qui aurait pour objet de prendre parti dans un conflit de nature politique.

De la même façon, on peut s’interroger sur le degré d’utilité communale que représente l’octroi d’une subvention à une entreprise afin que celle-ci embauche des Français et non des étrangers.

Par ailleurs, les entreprises sont en principe tenues de respecter les dispositions de l’article L. 122-45 du code du travail selon lesquelles « aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement, aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de sa situation de famille, de son appartenance à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, […] sauf inaptitude constatée par le médecin du travail […] en raison de son état de santé ou de son handicap.
Toute disposition ou tout acte contraire à l’égard d’un salarié est nul de plein droit
 ».

En d’autres termes, il est interdit à l’employeur de pratiquer une discrimination au moment du recrutement.

* Association des maires de France – 41, quai d’Orsay – 75343 Paris cedex 07 – Tél. 44 18 14 14.



Article extrait du n°28

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Dernier ajout : mercredi 2 juillet 2014, 18:37
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