Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »

Des cotisations sans prestations

Antoine Math

Chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES)
Il n’est pas rare que des étrangers, qui cotisent normalement pour des droits sociaux, ne puissent pas, en retour, bénéficier des prestations correspondantes. Le cas le plus fréquent concerne les saisonniers, mais cette véritable spoliation touche aussi d’autres catégories d’étrangers comme les étudiants ou les retraités.

La législation organise la privation des prestations d’assurance chômage à plusieurs catégories d’étrangers privés d’emploi, mais elle leur impose au préalable le prélèvement des cotisations à l’assurance chômage sur leurs salaires.

Il s’agit d’abord des étrangers ayant un droit au séjour limité à la période d’emploi auprès d’un employeur spécifique : saisonniers sous « contrat OMI » et étrangers titulaires de certaines cartes de séjour temporaire liant également le droit au séjour à un contrat de travail spécifique (« travailleur temporaire », « scientifique » ou « profession artistique et culturelle »). Avec l’interruption de l’activité, ces étrangers se retrouvent privés de tout droit au séjour autorisant le travail salarié et ne peuvent donc pas s’inscrire à l’ANPE et bénéficier de l’indemnisation du chômage.

Sont ainsi concernés par cette spoliation les quelque 10 000 à 15 000 saisonniers étrangers qui viennent chaque année travailler jusqu’à huit mois dans le cadre d’un « contrat OMI » mais qui, à la fin de leur contrat, ne peuvent jamais obtenir l’indemnisation du chômage que touchent les autres travailleurs saisonniers, alors même qu’ils ont versé des cotisations [1]. Se trouvent également dans cette situation les étrangers disposant d’une carte de séjour temporaire (CST) mention « travailleur temporaire », un titre précaire vers lequel l’administration oriente un nombre croissant d’étrangers [2] en lieu et place de titres plus « permanents » comme la CST mention « salarié » qui, elle, ouvre droit à l’indemnisation du chômage. Enfin, sont aussi concernés les quelques centaines d’étrangers titulaires d’un titre mention « scientifique » ou « profession artistique et culturelle » [3].

Le racket organisé concerne aussi les étudiants étrangers titulaires d’une CST mention « étudiant », qui peuvent travailler à mi-temps sous couvert d’une autorisation provisoire de travail [4]. Ils paient des cotisations tant qu’ils travaillent mais ne peuvent jamais toucher l’indemnisation chômage quels que soient les motifs de l’interruption du contrat de travail car leur titre « étudiant » leur interdit de s’inscrire à l’ANPE et d’accéder aux prestations. Les gains opérés sur leur dos par les Assedic sont loin d’être négligeables. Sur la base d’un smic brut mensuel de 600 € à mi-temps, les cotisations versées aux Assedic sont de l’ordre de 40,5 € par étudiant, soit 486 € sur une base annuelle. On ne connaît pas le nombre d’autorisations provisoires de travail accordées à des étudiants mais sachant que le nombre de CST mention « étudiant » délivré chaque année est de l’ordre de 120 000 à 150 000, et qu’en France environ 65 % des étudiants exercent une activité professionnelle (en dehors des stages sous convention) [5], on peut estimer que le nombre de titulaires d’une CST « étudiant » exerçant une activité professionnelle se situe dans une fourchette comprise entre 75 000 et 100 000 (mais pas forcément toute l’année). Sur la base de 30 000 équivalents mi-temps annuels au smic brut, le gain pour les Assedic serait donc de l’ordre de quinze millions d’euros.

De tels exemples de spoliation – c’est-à-dire de situations dans lesquelles la législation a prévu que les personnes cotisent tout à fait normalement pour des droits sociaux qui leur seront interdits – se rencontrent dans d’autres secteurs de la protection sociale. Ainsi en est-il des retraités qui ont cotisé toute leur vie active, lorsqu’ils étaient encore en bonne santé, pour une protection maladie dont ils ne pourront bénéficier alors même que des cotisations continueront à être prélevées sur leur retraite. Il s’agit d’abord de ceux qui sont repartis au pays et ont, de ce fait, définitivement perdu tout droit à l’assurance maladie (sauf rares possibilités prévues par des conventions bilatérales de sécurité sociale). Mais il s’agit aussi des titulaires de la fameuse carte « retraité », instituée par la loi Chevènement de 1998 : même s’ils justifient avoir travaillé et cotisé pendant plus de quinze ans, ils ne bénéficient d’une prise en charge des soins lors de leurs séjours en France que « si leur état de santé vient à nécessiter des soins immédiats ». En gros, une grippe ou un bras cassé, oui ; une longue maladie invalidante (cancer, asthme, diabète, handicaps divers), c’est-à-dire une de ces maladies généralement liées aux conditions de vie et de travail très éprouvantes qu’ils ont connues en France, non. Mais des cotisations maladie (3,2 %) continuent d’être prélevées sur leur retraite ! Comme le chantait François Béranger, une fois qu’« on a pressé le citron, on peut jeter la peau » [6]. ;




Notes

[1« Les omis. Livre noir de l’exploitation des travailleurs étrangers dans l’agriculture des Bouches-du-Rhône », Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture (Codetras), septembre 2005 (http://www.journarles.org/ article.php3 ?id_article=193). Voir aussi Alain Morice, « Les saisonniers agricoles en Provence : un système de main-d’œuvre », in Immigration et travail en Europe, Gisti, Les journées d’étude, juin 2005.

[2Pour ces titres qui sont obligatoirement accompagnés d’autorisations provisoires de travail (APT) délivrés par les directions départementales de l’emploi et du travail (DDTE), il n’existe aucune statistique, mais leur croissance, attestée par de nombreuses observations, est perceptible à travers la forte augmentation des APT (hors étudiants ?) qui sont passées de 4 295 en 1998 à 10 138 en 2003 (source : Haut conseil à l’intégration).

[31 162 titulaires d’une CST mention « scientifique » et 375 CST mention « profession artistique et culturelle » en 2003, selon les statistiques du ministère de l’intérieur.

[4Pour les conditions et modalités exactes d’attribution, voir « Les droits des étudiants étrangers en France », Cahier juridique, Gisti, septembre 2005.

[5« Les étudiants et le travail », Unef, sondage CSA, janvier 2005.

[6Mamadou m’a dit, François Béranger, album « Joue pas avec mes nerfs », 1979.


Article extrait du n°67

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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