Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »

Sans papiers... et sans bagages

Graziella Sottejeau

Juriste, DESS droit humanitaire et droits de l’homme
Les conditions de maintien des étrangers non admis ou en passe d’être reconduits ou expulsés pose de nombreux problèmes quant au traitement de leurs bagages. Parmi les mesures prises pour augmenter l’efficacité des mesures d’éloignement, cette question qui relève de la propriété individuelle de ces personnes considérées comme fautives d’avoir voulu entrer frauduleusement en France, reste largement en suspens. Aucune autorité ne semble disposée à gérer ce problème, et il revient aux associations présentes sur les lieux de bien vouloir s’en occuper.

Au sein de la zone d’attente de Roissy qui accueille près de 80 % des étrangers non-admis sur le territoire français, c’est la Croix-Rouge qui, depuis 2003, a en charge les questions sociales, mais celle-ci n’intervient pas dans les procédures d’admission ou de refoulement du territoire. Dans ces conditions, l’étranger, qu’il soit réacheminé vers son pays de provenance, admis à entrer sur le territoire français ou autorisé à continuer son voyage, doit accomplir un véritable parcours du combattant pour reprendre possession de ses biens.

Car la police, qui préfère que les médiateurs de la Croix-Rouge présents en zone d’attente ne récupèrent pas les bagages des non admis, ne procède pour ainsi dire jamais à l’enregistrement des bagages lors du placement en zone d’attente. Il est en effet plus facile de réacheminer un étranger sans ses bagages, car dans l’hypothèse où il refuserait d’embarquer, il faudrait soustraire ses valises des soutes de l’avion, ce qui entraînerait des contraintes pour les agents de la police aux frontières et de la compagnie aérienne. D’ailleurs, selon ces fonctionnaires de police, les valises de ces étrangers seraient habituellement vides. Mais leur conception du « vide » diffère de celle des propriétaires qui déclarent souvent y avoir rassemblé des photos de famille, des vêtements, des économies, des papiers d’identité… Outre l’atteinte au droit de propriété, une telle perte constitue manifestement une rupture de plus avec leur vie antérieure [1].

Au sein de la zone d’attente, les étrangers n’ont pas accès aux bagages contenus dans les soutes des appareils. Ils ne sont admis à Zapi 3 qu’avec les bagages à main avec lesquels ils sont arrêtés à la frontière. Dans le meilleur des cas, le reste de leurs bagages est transféré par la compagnie de transport dans les zones de fret mais, parfois, expédié vers la destination prévue, lorsque l’étranger est en transit. Il est bien évident que ces procédures complexes entraînent souvent la perte d’un certain nombre de bagages.

En cas de besoin, la Croix-Rouge est chargée de la distribution de nécessaires de toilette et de vêtements, mais ces pratiques posent de nombreux problèmes. Les demandeurs d’asile tout d’abord peuvent avoir besoin de documents laissés dans leurs valises. Exceptionnellement, lorsque celles-ci se trouvent à Roissy, la police aux frontières est chargée des démarches pour les récupérer. Pour cela, elle utilise l’« étiquette-bagages » apposée sur le billet d’avion et contacte la compagnie de transport. Mais ces procédures sont souvent urgentes puisque les agents de l’OFPRA consentent rarement à laisser plus de 24 heures avant de déclarer la demande du non admis « manifestement infondée ». Les malades, également, peuvent avoir un besoin impérieux d’accéder à leurs bagages. En particulier, lorsqu’un traitement lourd est prescrit, le maintien en zone d’attente peut poser de graves problèmes car, pour éviter les suicides médicamenteux, les médicaments sont en quelque sorte confisqués. Les étrangers concernés doivent donc consulter le service médical de la zone d’attente, mais lorsque les ordonnances sont restées dans les valises, le médecin ne dispose pas des informations nécessaires pour faire tous les examens.

Pour les personnes réacheminées dans leur pays de provenance, contrairement à ce qui se passe dans les centres de rétention, aucune circulaire ne dispose que les conditions du réacheminement doivent être améliorées. Les seules mesures à avoir été prises sont la création des escortes policières. Selon un officier du Gasai [2], « la question des bagages relève de la propriété individuelle. Ce sont donc les étrangers qui en sont responsables ». Le non suivi des bagages n’a donc aucun impact sur l’illégalité des refus d’embarquement. Selon notre interlocuteur, ces derniers « restent des délits quel que soit le motif, et les étrangers peuvent soulever ce moyen à l’aide de leur avocat lors de leur présentation devant le juge ».

Les personnes exceptionnellement autorisées à se rendre sur le territoire ou admises au titre de la demande d’asile, ne sont pas sûres elles non plus de récupérer leurs valises. A la sortie de la zone d’attente, elles doivent formuler une demande écrite en recommandé avec accusé de réception adressée au service compétent de la police aux frontières ou contacter le service Croix-Rouge de sortie de zone d’attente qui s’occupe de récupérer les bagages auprès des compagnies aériennes. Ces procédures sont donc mises en œuvre à l’initiative des étrangers eux-mêmes. Lorsque l’étiquette décrivant les valises n’est plus en sa possession, ce service accepte de tenter de retrouver les bagages grâce aux descriptions faites par le propriétaire. Mais chaque semaine, les compagnies aériennes sont obligées de détruire des rangées entières de colis. Lorsque les bagages ne peuvent être récupérés dans les meilleurs délais, il arrive que le service Croix-Rouge de sortie de zone d’attente se déplace, mais, dans la plupart des cas, c’est l’étranger lui-même qui doit se rendre à Roissy pour récupérer ses affaires. Et il doit le faire vite car, en raison du manque de place, ce service ne conserve les bagages non réclamés que huit jours.

Lorsque l’étranger est admis à entrer sur le territoire, il peut aussi rencontrer des difficultés pour récupérer ses papiers, puisque selon un officier du Gasai, « la restitution des documents dépend du dossier et des ordres de la hiérarchie ». Titulaires d’un sauf conduit, les demandeurs d’asile, par exemple, doivent dans certains cas retourner à Roissy dans les sept jours légaux afin de récupérer leur passeport ou les autres documents nécessaires pour demander l’asile sur le territoire. Le but de cette procédure est de garder un certain contrôle sur les sortants. Il arrive en effet que des étrangers admis sur le territoire par le juge des libertés et de la détention et venant réclamer leur passeport se voient replacés en zone d’attente, la police aux frontières ayant été avisée entre-temps que le parquet avait interjeté appel. Dans ce cas de figure, l’appel aurait pour conséquences d’annuler les effets du sauf conduit. L’étranger serait donc réputé n’avoir jamais pénétré sur le territoire français et pourrait juridiquement être remis en zone d’attente.

Dans le cas où l’étranger a été autorisé à poursuivre son voyage vers un autre pays, il est obligé de prendre contact avec les autorités françaises à partir du pays de destination pour récupérer ses documents.

Si l’absence de normes claires réglementant le traitement des personnes maintenues en zone d’attente dénote l’opacité des traitements infligés au sein de ce lieu clos, de très fortes interrogations subsistent quant aux personnes non admises qui ne transitent pas par ce lieu et restent confinées dans la zone internationale de l’aéroport. Des doutes sérieux existant quant à leur traitement physique et moral, on peut imaginer que les agents de police se préoccupent très peu de faire suivre les bagages et pour bon nombre de nationalités, il n’existe aucune possibilité de requérir l’aide des autorités puisque cela reviendrait à avouer leur tentative de fuir le pays.

Autre lieu où l’étranger, privé de liberté, rencontre les pires difficultés pour récupérer ses biens : les centres de rétention. Dans ces lieux de maintien, les pratiques diffèrent d’un centre à l’autre. La Cimade a, dans les textes, perdu l’aspect social de sa mission pour se consacrer à la protection juridique des personnes maintenues depuis 2001. Cette mission sociale ayant été confiée à l’OMI, puis en 2005, à l’ANAEM [3], c’est normalement cette autorité administrative qui est chargée de la récupération des bagages. Or, l’action de l’OMI étant souvent insuffisante par manque de moyens, la Cimade la seconde dans la récupération des bagages. Il s’agira de voir comment l’ANAEM gérera cette question à l’avenir.

Que l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière soit notifié à la suite d’un contrôle d’identité ou que l’étranger soit transféré au centre de rétention après une « rafle », arrivé sur les lieux, il n’a pas ses bagages. Il doit donc mettre en œuvre leur rapatriement. A ce stade, les pratiques diffèrent d’un centre de rétention à un autre. En théorie, soit l’étranger est accompagné sous escorte pour aller chercher ses bagages, soit l’ANAEM s’en charge et se déplace au domicile de l’étranger. Ces cas de figure sont cependant minoritaires, car souvent, les autorités ne souhaitent pas faire pénétrer leurs agents dans des « squats » ou des immeubles insalubres où sont « entassées » plusieurs familles d’étrangers. Dans certains centres, comme au Mesnil-Amelot, la Cimade s’occupe systématiquement des bagages, mais dans la plupart des cas, ce sont les familles et les amis qui se déplacent pour les apporter à la personne renvoyée. Les difficultés pour ces proches sont parfois accrues lorsque les reconduits sont transférés dans des centres éloignés de leur lieu de résidence et mal signalés. Dans l’immense majorité des cas, l’étranger ne dispose donc pas de la possibilité de préparer lui-même ses affaires.

Lorsque les valises parviennent au centre de rétention, les étrangers ne sont pas autorisés à les conserver avec eux, les effets personnels étant consignés par la police et conservés dans un local à part. Dans certains centres, un coffre destiné à stoker les objets précieux est à la disposition des étrangers. Ces mesures sont prises pour contrôler le contenu des sacs, dans un souci évident de sécurité, et permet d’éviter autant que possible les vols dans ces espaces clos où chacun est confronté à la promiscuité. Bien que les retenus soient en théorie autorisés à accéder à leurs bagages, cela dépend en pratique du bon vouloir des policiers qui en ont la garde.

Soucieux d’augmenter l’efficacité des reconduites à la frontière, le gouvernement a publié, le 16 mai 1995 une circulaire incitant les policiers chargés de mettre en œuvre les reconduites, à s’assurer que les bagages des étrangers reconduits sont « impérativement mis à la disposition de l’éloigné le jour de l’embarquement ». Il arrivait en effet fréquemment que les parquets ordonnent une mise en liberté de l’étranger lorsque celui-ci invoquait l’absence de ses bagages [4]. De même, une circulaire du 4 février 1994 recommande au personnel d’escorte de se munir des titres de voyage et des visas nécessaires [5].

Concernant les modalités du transport, les étrangers reconduits sont soumis au même régime que les simples touristes et n’ont donc droit qu’a une vingtaine de kilos dans la soute de l’avion, les kilos supplémentaires étant taxés par la compagnie aérienne. Ce traitement inéquitable ne tient pas compte du temps passé sur le territoire français et les personnes présentes depuis plusieurs années ne bénéficient pas de mesures plus favorables. Juridiquement, cela pose un problème d’atteinte au droit de propriété, garanti par l’article 1 du Protocole 1 de la Convention européenne des droits de l’homme puisque l’immigré doit en pratique laisser derrière lui la majorité de ses biens et qu’il n’a pas le temps d’en disposer à sa guise. La plupart du temps, les étrangers ont juste la place d’emporter des vêtements et l’argent économisé pendant leur séjour.

Lorsque des effets personnels sont oubliés, la police les conserve pendant une année puis les sacs sont ouverts. La plupart des affaires sont jetées et les vêtements en bon état confiés à l’ANAEM qui peut, le cas échéant, les redistribuer à des personnes maintenues, même si, à ce jour, elle reçoit des habits directement destinés à cet effet. Toutefois, en règle générale, peu de vêtements sont oubliés et pendant ce laps de temps, la famille ou les amis peuvent toujours récupérer ces effets personnels.

Il en est de même pour l’argent liquide que les étrangers ont gardé chez eux. En effet, les difficultés qu’ils rencontrent pour ouvrir un compte en banque sont telles [6] qu’ils accumulent parfois des billets qu’ils conservent précieusement à leur domicile et dissimulent dans leurs affaires. Là encore, ce sont les proches qui se chargeront d’envoyer, de vendre ou de donner les biens restants. Quand les expulsés disposent malgré tout d’un compte en banque, l’ANAEM s’occupe de le clore, Dans d’autres cas, la Cimade fait établir des mandats pour obtenir cette fermeture. Mais il est évident que, la plupart du temps les comptes restent ouverts avec des sommes que personne ne peut récupérer.

L’étranger n’est pas le seul à être spolié lorsqu’on l’oblige à quitter le territoire français. S’il était locataire d’un logement, le bailleur se trouve brutalement, sans préavis, privé du paiement de son loyer. Et quid de la famille de l’étranger reconduit qui a un loyer à payer lorsque c’est lui qui était le soutien financier ?

Le manque de garanties accordées aux étrangers sur la question des bagages entraîne une véritable atteinte à leur droit de propriété. Malheureusement, ce problème semble devenir une fatalité pour les personnes concernées. Le gouvernement actuel, essentiellement préoccupé par sa « politique du chiffre », ne saurait accorder de telles garanties car cela reviendrait à créer une faille dans les procédures contentieuses. Ce qui aurait pour conséquence de ralentir les procédures d’expulsion. ;




Notes

[1Anne de Loisy, Bienvenue en France ! Six mois d’enquête clandestine dans la zone d’attente de Roissy, Document, Le Cherche Midi, 2005, p. 107.

[2Le Groupe d’analyse et de suivi des affaires d’immigration (Gasai) est rattaché à la division immigration de la police aux frontières qui se trouve à Zapi 3 (zone d’attente pour les personnes en instance de Roissy).

[3L’Agence nationale de l’accueil des étrangers et les migrations remplace, depuis le 1er octobre 2005, l’OMI (office des migrations internationales) et le SSAE (service social d’aide aux émigrants).

[4Circulaire du ministre de l’intérieur du 16 mai 1995 : « Préparation de l’exécution des mesures d’éloignement  ».

[5Circulaire du ministre de l’intérieur du 4 février 1994 : « Moyens de transport pour l’éloignement des étrangers. Eloignement par voie aérienne, maritime et terrestre pour toute destination  ».

[6Voir article p. 19.


Article extrait du n°67

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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