Article extrait du Plein droit n° 67, décembre 2005
« Taxer les étrangers »

Le MTA et la « grève générale » contre le racisme de 1973

Abdellali Hajjat

Doctorant à l’EHESS et membre d’Ici & Là-Bas (Lyon)
Le Mouvement des travailleurs arabes (MTA), est l’une des premières tentatives autonomes d’organiser les immigrés autour de leur condition sociale en France. Parmi les préoccupations des immigrés maghrébins en France, il y a les agressions racistes qui s’aggravent durant l’été 1973. Pour s’y opposer, le MTA déclenche début septembre à Marseille la « grève générale » contre le racisme. Cette forme d’action inédite, qui touche usines et quartiers, s’étendra à d’autres villes -dont Paris- et posera la question de la place des travailleurs arabes dans le mouvement ouvrier français.

1er septembre 1973 : Cortège après la mort de Lhadj Lounès à Marseille au terme duquel a été décidée la grève générale contre le racisme.

Le MTA et la « grève générale » contre le racisme de 1973

Fondé lors de la Conférence nationale des travailleurs arabes des 17 et 18 juin 1972 à Paris, le Mouvement des travailleurs arabes (MTA) est composé d’étudiant-e-s et d’ouvriers immigrés (Tunisie, Maroc, Algérie, Liban) affirmant leur appartenance à la nation arabe, issus des Comités de soutien à la Révolution palestinienne (dits comités Palestine, nés en septembre 1970 et dissous au printemps 1971). Ils sont très proches des maoïstes de la Gauche prolétarienne (GP) et de la gauche chrétienne, et certains militent dans l’Union nationale des comités de lutte d’atelier (UNCLA). Le passage d’une action collective concentrée sur la cause palestinienne à la dénonciation de la « réaction arabe » du Maghreb et à une mobilisation sur de multiples « fronts de l’immigration » (bidonvilles, racisme, foyers, papiers, luttes ouvrières), est justifié à l’époque par la volonté de se battre pour satisfaire les besoins de l’immigration maghrébine en France. Les militants du MTA sont parmi les premiers à penser la nécessité du combat pour l’amélioration de la condition des immigrés sur le territoire français. Alors que pour la plupart des autres militants arabes, le problème ne se pose même pas (leur priorité est la révolution dans le monde arabe), ils ont pris conscience du besoin d’organisation des immigrés maghrébins.

Ainsi, l’émergence des luttes « autonomes » de l’immigration au début des années 1970 signifie le début du déclin du « mythe du retour », et l’enracinement des immigrés maghrébins en France. Cette vérité, très peu explicitée dans le cercle des familles, est contenue implicitement dans toutes les revendications pour l’amélioration des conditions de vie, de travail et d’existence des immigrés maghrébins. Par ailleurs, ces mobilisations sont le signe d’une volonté d’émancipation de l’encadrement social et politique des immigrés, incarné par le mode de gestion de la main-d’œuvre immigrée mené conjointement par l’État, le patronat, certains syndicats français et les gouvernements maghrébins (représentés en France par leurs « amicales ») [1].

1973 : un été sanglant

Parmi les nombreuses préoccupations des immigrés maghrébins en France, la crainte du racisme est omniprésente. Quelques années après la fin de la guerre d’Algérie, le racisme anti-arabe reste ancré dans les structures sociales françaises. La vie des « Arabes » est menacée par un racisme banalisé et légitimé dans la société française, notamment par une partie de la presse. Pendant l’affaire Djilali Ben Ali [2] et l’affaire Mohammed Diab [3], les militant-e-s du MTA en formation dénoncent avec vigueur les crimes racistes contre les immigrés maghrébins, et mobilisent tout leur savoir-faire politique pour toucher l’opinion publique française.

L’été 1973 est une des périodes les plus « sanglantes » pour l’immigration maghrébine, endeuillant des dizaines de familles. L’atmosphère est particulièrement tendue dans le sud de la France, où l’on retrouve les plus fervents nostalgiques de l’Algérie française et les anciens de l’Organisation de l’Armée Secrète (OAS). Le 12 juin, suite à une manifestation de travailleurs agricoles sans papiers, on assiste à une « véritable ratonnade » : des immigrés sont poursuivis dans les rues de Grasse et des pétitions circulent pour demander leur expulsion de la ville. Le 25 août 1973, un conducteur d’autobus de Marseille, Émile Gerlache, est assassiné par un ressortissant algérien déséquilibré, Salah Bougrine. Ce fait divers va être l’occasion d’un véritable déchaînement de haine anti-arabe pendant une semaine, durant laquelle on compte sept morts à Marseille. Le quotidien Le Méridional, dans son édition du 26 août, souffle sur la braise. En clamant « Nous en avons assez ! », en accusant les Algériens de tous les maux, il se montre compréhensif à l’égard des « citoyens [qui] risquent d’avoir recours à des actes de justice directe ».

Dans la nuit du 28 au 29 août, un commando jette un cocktail Molotov dans les bâtiments d’une entreprise de nettoyage des chantiers navals de la Ciotat, tandis que Lhadj Lounès est tué par balles à Marseille. Le 31 août, 1 500 ouvriers des chantiers navals de la Ciotat déclenchent spontanément une grève contre les attentats racistes, malgré les consignes de l’Amicale algérienne. Le lendemain, un cortège funèbre à la mémoire de Lhadj Lounès traverse Marseille, du bidonville de la Calade au port de la Joliette. Au terme de la marche, le MTA de Marseille lance le mot d’ordre de « grève générale contre le racisme » de vingt-quatre heures, pour le 3 septembre 1973. Le jour dit, près de 30 000 ouvriers [4] de la région marseillaise cessent le travail : 100 % des travailleurs des chantiers navals et des employés municipaux de la Ciotat, 60 % des travailleurs de Marseille et 100 % à Aix-en-Provence. Grâce à la mobilisation de tous les comités locaux du MTA, les grèves contre le racisme se propagent à travers toute la France : le 4 septembre à Toulon (un meeting réunit 2 000 personnes le 7), le 14 à Paris, le 17 à Toulouse, le 25 à Mulhouse, etc.

Retour sur la grève de Paris

Les militants parisiens du MTA réagissent immédiatement à l’appel à la grève contre le racisme. Les contacts avec Marseille sont quotidiens et ils publient, dès le mardi 4 septembre, un tract de soutien. D’autres militants l’apprennent par la une du Monde. Le 8 septembre, le MTA tient une réunion à l’église Saint-Joseph, dans le onzième arrondissement. On y annonce que la grève aura lieu le 14, que le mouvement doit s’étendre aux usines, aux chantiers, et que les commerçants arabes vont être invités à populariser l’appel. La préfecture de police de Paris suit avec attention le déroulement de la mobilisation. Elle rend compte au jour le jour de tous les développements de la grève, en réussissant à réunir des informations internes aux réunions de préparation. Pour les agents de police, « ce genre de manifestation est sans précédent dans la région parisienne mais l’exemple récent de la grève du 3 septembre dans les Bouches-du-Rhône, à l’appel du [MTA], nous montre que le thème de cette démonstration n’est pas sans impact sur la masse musulmane » [5]. Les militants du MTA impriment et distribuent plus de 80 000 tracts dans les arrondissements parisiens et dans les banlieues à forte présence maghrébine (18ème, 20ème arrondissements, Ivry, Saint-Denis) ainsi qu’à la porte des grands établissements industriels comme Renault à Boulogne-Billancourt.

Le travail de terrain des militants consiste à convaincre les travailleurs arabes de ne pas se rendre au travail le 14 septembre. Ils sont confrontés à l’opposition de l’Amicale algérienne qui fait savoir qu’elle désapprouve la grève, mais elle envoie dans le même temps des émissaires qui laissent entendre qu’elle ne s’y oppose pas. Cette position reflète son inquiétude et son embarras face à un mouvement qui lui échappe complètement et qui pourrait avoir du succès. Quant aux syndicats, leur position est elle aussi ambiguë. L’Union locale CGT de Paris affirme, dans un communiqué, « qu’elle appelle toutes ses organisations, ses militants et les travailleurs à combattre avec vigueur toutes les campagnes et manifestations racistes… Les organisations CGT de la région parisienne feront tout pour que cette solidarité s’exprime notamment vendredi 14 septembre, en multipliant les initiatives dans les entreprises pour qu’ensemble Français et immigrés soient rassemblés dans un même combat  » [6]. Il ne s’agit pas d’un soutien direct à l’initiative du MTA, parce que le fait de l’encourager risquerait de voir le mouvement lui échapper, mais le freiner explicitement l’exposerait aux critiques de collusion avec le gouvernement français.

L’implication des militants connus des habitants des quartiers arabes joue un rôle primordial dans la réussite de la mobilisation à Paris. C’est le cas de Abderrazak. Depuis 1968, il est exilé en France et vit dans une chambre rue de l’Orient, la « rue des Tunisiens » à Belleville. Il s’est très bien intégré dans le quartier, notamment parce qu’il sait lire et écrire : « On m’appréciait parce que j’étais très utile aux gens, pour leur lire leurs papiers, pour leur écrire, pour leur monter leur dossier, etc.  » [7]. Il bénéficie aussi d’une bonne réputation, celle d’un jeune étudiant sans histoires. Il participe en « électron libre » aux comités de soutien des grèves de la faim de sans-papiers, mais la grève du 14 septembre va être le « déclic » de son engagement dans le MTA. Les militants comme Abderrazak ont contribué à gagner la confiance des habitants grâce à leur ancrage dans le quartier de Belleville.

Les petits commerçants étaient très réticents à fermer le jour de la grève : peur de l’agitation, peur des représailles des amicales, mais « une fois […] qu’un ou deux commerçants en sont convaincus et […] ferment, les autres suivent  » [8]. L’activisme parisien est renforcé par l’arrivée de militants du MTA de Marseille, forts de l’expérience de la grève réussie quelques jours auparavant. Le mercredi 12 septembre, dans les locaux de la paroisse Saint-Joseph, à Belleville, le MTA et le CDVDTI [9] organisent une réunion consacrée aux moyens d’assurer le succès de la grève, en présence de deux cent cinquante personnes, en majorité d’origine maghrébine. La séance démarre par une petite représentation théâtrale, puis on parle de l’organisation pour faire suivre le mot d’ordre de grève. Il s’agit de convaincre les travailleurs arabes aux portes des usines ou devant les bouches de métro (un piquet de grève est organisé au métro Barbès), en leur offrant un tract écrit en français et en arabe : « Dans la région parisienne, le vendredi 14 septembre sera pour nous une grande journée à la mémoire des victimes du racisme et une journée de lutte pour notre dignité et nos droits. Nous appelons tous nos frères arabes à se mettre en grève pendant 24 heures pour protester contre le racisme et avertir tous les racistes que nous ne nous laisserons pas faire » [10]. Il y est précisé dans l’appel que leur « lutte est celle de tous les travailleurs de ce pays, Français ou immigrés » [11]. Le MTA appelle aussi à un rassemblement devant la Mosquée de Paris.

« Les Arabes arrêtent la France ! »

Pour mesurer le succès de la grève, des militants du MTA se sont déplacés pour recueillir les informations, centralisées dans un local porte de Clichy. S’ils ne peuvent pas constituer des preuves indiscutables de la mobilisation (les militants ont souvent tendance à exagérer leur capacité de mobilisation), les chiffres rassemblés par le MTA donnent des indications sur l’impact du MTA usine par usine. Pour la police, la grève du 14 septembre et le rassemblement devant la Mosquée de Paris n’ont recueilli qu’un « succès extrêmement limité [12] ». Selon ses chiffres, la grève a été « diversement suivie » selon les chantiers et les usines ; dans la banlieue parisienne, « l’isolement relatif des travailleurs nord-africains semble avoir permis aux mots d’ordre d’intimidation d’avoir un peu plus d’effet », notamment avec les « pourcentages considérables » sur des grands chantiers tel celui de Roissy-en-France (1 700 grévistes sur 2 000 ouvriers) ; le succès de la grève chez les commerçants arabes est expliqué par le fait qu’il s’agit d’une « cible facile et permanente », qu’ils se sont montrés « très sensibles aux injonctions très impératives dont ils ont fait l’objet et qui leur intimaient de fermer les portes de leurs magasins ». Le rassemblement devant la Mosquée de Paris réunit plus de 3 000 manifestants (1 000 selon la police).

Affiche murale à Marseille annonçant les pourcentages de grévistes.

Au regard des chiffres enregistrés par le MTA et la police, on peut souligner un succès relatif en termes quantitatifs. Contrairement à ce qu’affirme le MTA, la grève n’était pas générale. Un militant ouvrier de la région parisienne se souvient : « Faut être vraiment honnête. Il y avait l’appel, mais pour dire qu’on a réussi à faire la grève générale en France, c’est pas vrai […] mais il y avait l’idée ». « Nous [n’étions] pas implantés sur le terrain. Nous [étions]quelques militants distribués un peu partout. On a voulu développer cette idée, par la presse si tu veux, au sein des travailleurs immigrés ou arabes surtout, pour secouer la population [13] ».

La perception de la grève n’est pas la même pour les militants de Barbès et de Belleville, quartiers dans lesquels les commerces et cafés ont largement suivi le mot d’ordre : « On savait qu’il y avait un raz le bol […] mais c’est vrai que ça a dépassé nos espoirs » [14]. La grève générale a, en effet, une immense portée symbolique, car il s’agit de la première tentative d’organiser et de coordonner des grèves autonomes pour protester, non seulement contre les conditions de travail, mais contre ce qui se passe à l’extérieur de l’usine. L’objectif est de faire pression sur la société française pour arrêter les crimes en lui envoyant un message clair : « Vous allez voir de vos propres yeux que vous avez besoin de nous […]. Ou vous prenez une décision politique pour dire : arrêtez, ces gens-là ils y sont pour rien, arrêtez vos conneries, ou voilà vos usines ne marchent plus » [15]. Les grèves visent à mettre en lumière la vulnérabilité de l’économie française, qui dépend étroitement de la main-d’œuvre étrangère pour son bon fonctionnement. On peut aussi interpréter le mouvement comme un signal d’alarme adressé au gouvernement algérien et à son amicale, accusés de ne pas protéger leurs ressortissants en France : « C’est à partir de là que le gouvernement algérien a pris conscience de la gravité du problème : arrêt de l’immigration officielle et passage obligé par l’ONAMO (Office national de la main-d’œuvre algérienne)  » [16]. En effet, le 20 septembre, le gouvernement algérien décide de suspendre immédiatement l’émigration algérienne en France. Le MTA publie alors un communiqué élogieux : « Le MTA salue la décision du Conseil de la Révolution algérienne de suspendre l’immigration tant que la sécurité et la dignité des travailleurs arabes en France ne sera pas assurée. Il rappelle que cette décision traduit l’émotion et la préoccupation du peuple algérien sur la situation lors des événements racistes qui se sont produits. […] Cela suite au mouvement de grève générale de l’ensemble des travailleurs arabes, pour défendre leur vie et leur dignité, mouvement qui a obligé toutes les instances à prendre leurs responsabilités »(17).

1972–1975 : la mobilisation contre les circulaires Marcellin–Fontanet



La « grève générale » contre le racisme de septembre 1973 se déroule dans une période marquée par une forte mobilisation contre les circulaires Marcellin–Fontanet.

Ces circulaires, du nom des ministres de l’intérieur et du travail de l’époque, entrées en vigueur en 1972, tendent à unifier les procédures de délivrance des titres de travail et de séjour sous l’égide des services de police, et les subordonnent à la présentation d’un contrat de travail et d’une attestation de logement fournis par l’employeur. De fait, elles constituent les prémisses d’une nouvelle politique de contrôle des flux migratoires, déterminée par les besoins du marché du travail et la situation du chômage.

Le MTA et le CDVDTI, omniprésents dans la mobilisation contre ces circulaires, décident de « bombarder l’opinion publique et les moyens d’information » pour faire connaître leur analyse et leurs revendications : ils dénoncent ces « circulaires [qui] interdisent de changer de patron », et réclament « la carte de travail, valable dans tous les départements, sans contrat d’esclavage qui lie le travailleur immigré sans papiers à un seul patron, et que seul le patron peut rompre ».

Entre fin 1972 et début 1975, une vingtaine de grèves de la faim sont menées à travers la France, essentiellement par des Tunisiens rejoints par des Marocains, des Mauriciens, des Pakistanais, des Yougoslaves et des Turcs. Le mouvement est aussi ponctué par de multiples manifestations, un grand meeting salle de la Mutualité à Paris, des occupations de directions départementales du travail, et s’étend à des grèves d’usine comme à Margoline (Nanterre) alliant augmentation des salaires, conditions de travail et régularisation des sans-papiers. Le 14 juillet 1973, les mesures du nouveau ministre du travail, Georges Gorse, suspendent provisoirement la circulaire Fontanet et permettent la régularisation de 35 000 personnes entre juin et septembre 1973. Enfin, le 13 janvier 1975, le Conseil d’Etat, saisi d’une requête du Gisti et de M. Da Silva, militant portugais CFDT à Renault-Billancourt, annule plusieurs dispositions des circulaires Marcellin–Fontanet (dont l’attestation-logement et le contrat de travail à durée déterminée substitué à la carte de travail pour la première année de séjour d’un étranger).

Mogniss H. Abdallah

Une grève de division de la classe ouvrière ?

La forme de la grève, en particulier l’appel uniquement adressé aux travailleurs arabes, a suscité énormément de critiques. Durant les réunions de préparation de la grève, des immigrés d’Afrique noire ont dénoncé l’exclusivisme de l’appel : les Antillais et les Africains sont autant victimes du racisme que les Arabes, ils ne voyaient donc pas pourquoi l’appel était si restrictif. Si l’assemblée a applaudi, le MTA n’a pas modifié son choix politique. Le rassemblement devant la Mosquée a réuni quelques Africains, mais plus issus des milieux intellectuels que de la classe ouvrière. Même pour les organisations d’extrême gauche et le centre d’études anti-impérialistes (Cedetim), « le risque d’une coupure entre les immigrés et la classe ouvrière française existe, et toute forme de lutte contre le racisme ou de soutien à ces luttes doit en tenir compte »(18). Une partie des ouvriers français a participé à la grève du 14, mais seulement pendant une heure et demi ou deux, donc de manière limitée. L’impact de la grève rend finalement compte de la capacité de mobilisation du MTA parmi les travailleurs arabes. On se rend compte que son implantation est principalement située dans les 18ème, 19ème et 20ème arrondissements de Paris, et que l’audience dans la banlieue parisienne reste limitée.

Quel est le bilan politique des grèves ? Le MTA trouve l’occasion de le tirer le 9 mars 1974, au moment d’une réunion de coordination des militants du MTA à Grenoble. Ils constatent un des effets pervers de l’appel, illustré par le cas du Nord. Le MTA du Nord est implanté dans l’usine Thomson de Lille, dans les mines de Douai et dans les quartiers arabes roubaisiens et lillois, où il a mobilisé pour les grèves générales. A Lille, le MTA rassemble des immigrés de toutes les nationalités (Africains, Maghrébins, etc.), mais les militants constatent que la rupture entre Français et immigrés s’est creusée. Si elle n’était pas « aiguë » lors de la première grève, la division s’est accentuée à partir des « campagnes d’intoxication racistes » sur la crise pétrolière. Un des signes de cette division est que les ouvriers français quittent volontairement la CFDT de Thomson au fur et à mesure que les immigrés y entrent. Même constat à Douai : « La liaison naturelle des mineurs immigrés et français a été posée par la grève anti-raciste ».

Cet exemple illustre toute l’ambiguïté de la question de l’autonomie. S’agit-il d’une volonté de se séparer de la classe ouvrière, et plus généralement de la société française ? En fait, le terme d’autonomie a été très utilisé, mais finalement très peu défini par les militants eux-mêmes. Cependant, le mouvement de syndicalisation des militants ouvriers du MTA à la CFDT (qui était le syndicat le moins hostile au MTA) montre toute la difficulté de tenir à la fois la revendication d’unité entre travailleurs français et immigrés, et la volonté de prise en compte des besoins spécifiques de la condition d’immigré. ;




Notes

[1Cet article est issu d’un mémoire de DEA de Sciences Sociales (ENS/EHESS), intitulé « Éléments pour une sociologie historique du MTA (1970-1976) », sous la direction de Stéphane Beaud.

[2Djilali Ben Ali, jeune Algérien de quinze ans, est assassiné le 27 octobre 1971 dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, par le concubin de la concierge de l’immeuble où il habitait. C’est le point de départ d’un grand mouvement anti-raciste qui culmine avec une manifestation de 3000 personnes, sans précédent depuis le 17 octobre 1961 à Paris.

[3Le 29 novembre 1972, Mohammed Diab est assassiné dans le commissariat de Versailles, par le sous-brigadier Marquet. Suite à cette affaire, plusieurs organisations, en lien avec le MTA, créent le Comité pour les droits et la vie des travailleurs immigrés (CDVDTI) dont l’objectif est de soutenir toutes les luttes des travailleurs immigrés (contre le racisme, pour la carte de travail, etc.).

[4Selon Témoignage Chrétien. 18 000 selon L’Aurore.

[5Note de la préfecture de police de Paris (ci-après NPPP), 11 septembre 1973.

[6Cité dans la NPPP, 12 septembre 1973.

[7Entretien avec Abderrazak, Paris, 14 juin 2005.

[8Ibid.

[9Voir note 3.

[10NPPP, 15 septembre 1973.

[11Entretien avec Mohammed, banlieue parisienne, 9 avril 2005.

[12Entretien avec Thérèse, Paris, 9 mai 2005.

[13Entretien avec Heddi, Paris, 6 avril 2005.

[14Entretien avec Abderrazak, op. cit.

[15Cité dans La Voix des Travailleurs Arabes, octobre 1973. Suite à l’attentat du mystérieux « Club Charles Martel » contre le consulat d’Algérie à Marseille le 14 décembre 1973 (quatre morts et vingt blessés), le MTA lance à nouveau un mot d’ordre de grève contre le racisme le 17.

[16Cedetim, Les immigrés, Stock, 1975, p. 276.


Article extrait du n°67

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Dernier ajout : jeudi 17 avril 2014, 14:59
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