Édito extrait du Plein droit n° 91, décembre 2011
« Les bureaux de l’immigration »

Étudiant·e·s, tri sélectif

ÉDITO

La France « doit accueillir des étrangers auxquels [elle] peut donner un travail, qui ont besoin de se former en France ou qui répondent à ses besoins économiques ». C’est ainsi que dans une lettre de mission de 2007 adressée à son ministre de l’immigration, Nicolas Sarkozy rappelait l’un de ses thèmes favoris de campagne : celui de l’« immigration choisie ».

Quatre ans après ces injonctions, on assiste à un revirement de la politique gouvernementale en matière d’immigration, en particulier à l’égard des étudiantes et étudiants étrangers. Les privilégiés d’antan font aujourd’hui l’expérience amère du double discours sarkozyste. L’année 2011 sera celle de la rupture, mais pas celle initialement annoncée : même diplômé, il ne fait pas bon être étranger.

Augmentation soudaine et radicale du plancher des ressources requis pour venir étudier en France [1], délivrance de visas au compte-gouttes, circulaires réclamant un durcissement des pratiques préfectorales pour l’octroi du changement de statut (passage des études à l’emploi) : la population étudiante, jusque-là relativement épargnée subit de plein fouet les nouvelles orientations.

La fabrique à sans-papiers marche à nouveau à plein régime : depuis le décret du 6 septembre 2011, les candidat·e·s au visa ou au titre de séjour étudiant doivent désormais justifier de plus de 7 680 euros de ressources annuelles (contre 5 400 euros en 2010). Sélection sur la fortune et la nationalité, le gouvernement ne recule devant aucun moyen pour atteindre ses objectifs chiffrés.

À moins d’un an des élections présidentielles, les élèves du supérieur ne sont pas les seuls à faire les frais d’une politique électoraliste consistant à se gargariser d’une baisse du nombre de titres délivrés qui comme toujours, multipliera le nombre des sans-papiers. Après l’avortement opportuniste de l’« immigration choisie », le gouvernement, pour des raisons purement électoralistes, semble s’orienter vers l’« immigration zéro » de 1993, au mépris de toute cohérence politique.

Il y a aussi les autres, les postulant·e·s au changement de statut, « ces jeunes formés chez nous et sur lesquels on a investi [qui] sont des ambassadeurs pour la France, à vie » [2] mais néanmoins placés sur un siège éjectable depuis la circulaire du 31 mai 2011. L’effet conjugué d’un texte visant à réduire à quantité négligeable l’immigration professionnelle [3] et de son application aveugle par les préfectures a conduit aux refus en cascade de permis de séjour pour les diplômés étrangers.

L’incendie couvait depuis longtemps. Malgré le caractère temporaire par principe de leur présence en France et son faible impact sur le marché du travail, les étudiant·e·s sont depuis bien longtemps les victimes « collatérales » de la fermeture des frontières. Soumis à un statut précaire par nature, à de multiples contrôles sous couvert de chasse aux « faux étudiants », ces jeunes doivent également se soumettre au tri effectué par les agences CampusFrance, chargées par de sélectionner les « meilleurs  » éléments. Ce qui, dans la langue gouvernementale, signifie les étudiants fortunés, présentant un « intérêt stratégique » pour la France, le droit de tous à bénéficier d’une éducation de qualité étant relégué depuis longtemps aux oubliettes de l’histoire.

Le statut des étudiantes et étudiants étrangers connaît ainsi des évolutions contrastées. Les « avancées » en trompe-l’oeil issues de la loi de 2006 – telles que le titre de séjour pluriannuel resté lettre morte ou l’autorisation provisoire de séjour censée permettre aux titulaires d’un master une transition facilitée vers le titre « salarié » – ont laissé entrevoir un assouplissement des règles. En réalité, l’arbre cache mal la forêt et c’est une logique insidieuse de sélection sociale qui est mise en oeuvre au profit d’une vision purement utilitaire des migrations étudiantes. Dans la droite ligne des politiques de libéralisation de l’université et du processus de Bologne visant à faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde » : en d’autres termes, à restreindre l’éducation à une valeur mercantile.

Aujourd’hui, c’est au grand tri des étudiantes et des étudiants que l’on assiste, laissant sur le bord du chemin un nombre croissant d’entre eux, venus seuls et condamnés à une précarité sociale et administrative et, partant, souvent happés dans la spirale de l’isolement et de l’échec.

Pourtant, face à ces attaques, il existe une autre voie : celle du respect du droit à l’éducation pour toutes et tous, de l’égalité et, au-delà, de la liberté de circulation, au sein de l’espace éducatif comme ailleurs.




Notes

[1cf. Recours CE du Gisti contre l’article 36 du décret du 6 septembre 2011.

[2Propos de Laurent Wauquiez, ministre de l’enseignement supérieur.

[3Recours du Gisti contre la circulaire du 31 mai 2011.


Article extrait du n°91

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Dernier ajout : lundi 7 avril 2014, 20:51
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